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les blessés fédéraux, et quand, suivies de leurs nègres porteurs de paniers remplis de provisions, elles rencontraient un soldat fédéral sur le trottoir, elles ramassaient ostensiblement les plis de leurs robes, comme si elles eussent craint de se souiller par le contact d’un animal immonde. Les vainqueurs se bornaient à sourire de ces taquineries d’enfans mal élevés. D’autres, à leur place, auraient peut-être été moins patiens.

Le général établit son quartier-général à Williamsburg dans la maison que le chef de l’armée confédérée, Johnston, avait occupée la veille, car ce n’était plus Magruder que nous avions devant nous depuis quelque temps, Johnston, aux yeux des amis comme des ennemis, dans l’opinion surtout de ses anciens camarades de l’armée régulière, passait pour être un homme de guerre de premier ordre. À un grand courage il joignait, dit-on, une volonté de fer et un remarquable coup d’œil sur le terrain. Avec M. Jefferson Davis, sa grande intelligence pour concevoir, sa toute-puissance pour préparer, et Johnston pour exécuter, l’armée confédérée était en bonnes mains, et nous ne le voyions que trop. En tenant ainsi deux jours devant Williamsburg, Johnston avait donné le temps à son matériel et au gros de ses troupes de filer sans être inquiétés par les routes étroites sur lesquelles ils marchaient et, malgré la pluie qui mit les chemins dans un état affreux, il arriva encore au haut du York-River, deux jours après la bataille, à temps pour livrer aux soldats de Franklin, qui venaient de débarquer, un combat par lequel il acheva de couvrir son mouvement de retraite. Désormais on ne devait plus le rencontrer que devant Richmond.

L’armée fédérale passa trois jours à Williamsburg, occupée à rechercher ses blessés perdus dans les solitudes de la forêt et à enterrer les morts. Les blessés furent évacués par eau sur les villes des états du nord, à bord de ces grands paquebots si connus pour leur comfort et leur élégance. Grâce aux criques dont la contrée est déchiquetée, ils vinrent presque les prendre jusque sur le champ de bataille. Quant aux morts, leur inhumation se fit sur place. Ceux de l’ennemi étaient nombreux : dans un seul rifle pit, on en compta soixante-trois. Le général Mac-Clellan lança à la suite des confédérés quelques escadrons de sa cavalerie, qui eurent nombre de petits engagemens avec leur arrière-garde. Le premier jour, on ramassa beaucoup de prisonniers et sept ou huit pièces de canon ; mais dès le lendemain la retraite se fit avec ordre, et la poursuite était presque sans objet. Si d’ailleurs l’ennemi avait abandonné quelques-unes de ses pièces, il en emmenait un nombre à peu près égal, prises sur la division Hooker, et destinées, comme autant de trophées, à réchauffer un zèle que de longues et continuelles retraites commençaient à refroidir.