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déployées, dans la ville de Williamsburg, au milieu de l’explosion des magasins et des caissons abandonnés. Peu après le quartier-général entra aussi à son tour par une grande et belle rue bordée d’acacias. Toutes les boutiques étaient fermées, mais les habitans se tenaient, pour la plupart, sur leurs portes ou derrière leurs fenêtres, observant d’un air inquiet et sombre. Les nègres seuls se montraient sourians, et nombre d’entre eux prenaient des airs conquérans assez grotesques, ou décampaient dans la direction de Fort-Monroë, c’est-à-dire de la liberté, emmenant femmes et enfans dans de petites charrettes. Tous les édifices publics, églises et autres, étaient surmontés du drapeau jaune et remplis de blessés laissés par l’ennemi. Au bout de la grande rue, on débouchait sur une place de belle apparence, ornée d’une statue de marbre et entourée des bâtimens d’un collège célèbre, fondé par le gouvernement anglais lorsque la Virginie était sa colonie bien-aimée. Ce collège avait été aussi changé en hôpital, et les blessés encombraient jusqu’aux marches du péristyle.

La première pensée du général Mac-Clellan fut de soulager tant de souffrances. On dépêcha un parlementaire aux arrière-gardes confédérées pour inviter les chirurgiens à venir prendre soin de leurs blessés, liberté entière leur étant garantie. Il en arriva bientôt un certain nombre vêtus de l’uniforme gris feuille-morte à collet vert de l’armée confédérée, qui les faisait ressembler à des officiers de chasseurs autrichiens. Après ce soin vint celui de placer des sentinelles dans toutes les-rues pour assurer le maintien de la plus exacte discipline. Cette précaution était superflue, car si l’obéissance du soldat envers l’officier laissait beaucoup à désirer dans les rangs des fédéraux quant au service militaire, jamais, je crois, aucune armée n’a montré plus de respect pour les habitans et les propriétés particulières. Pendant tout le temps que j’ai suivi l’armée du Potomac, le seul exemple de désordre qui soit venu à ma connaissance est le pillage d’un grenier rempli du plus fin tabac de Virginie, découvert au-dessus d’un hangar abandonné. J’ajoute que les circonstances donnaient quelque mérite à cette stricte observance de la discipline. Les troupes qui campèrent autour de Williamsburg le lendemain du combat que nous venons de raconter furent un moment à court de vivres par suite de l’état impraticable des chemins, et supportèrent avec résignation l’attitude hostile des habitans, qui répondaient par un refus unanime à leurs offres de payer des provisions argent comptant. Après les premiers momens de crainte passés, lorsqu’il fut évident qu’il n’y avait aucun risque à courir, on vit des dames de la ville s’en aller porter avec affectation à leurs blessés des rafraîchissemens qu’elles n’avaient pas pour