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sation qui manquait, et avec les meilleurs élémens une armée qui n’est pas organisée ne saurait espérer de grands succès, trop heureuse si elle évite les grandes catastrophes.

Grâce à ce vice constitutif de l’armée fédérale, la division Hooker, qui faisait tête de colonne sur la route de gauche et qui avait reçu la veille un ordre général de marcher sur Williamsburg, déboucha le 5 au matin sur l’isthme où s’était livré le combat de Stoneman, sans se douter de ce qu’elle y rencontrerait. Accueillie à son apparition par le feu nourri des ouvrages ennemis, elle se déploya résolument dans les abatis et engagea l’action ; mais elle était arrivée seule et petit à petit, tandis que la défense lui opposait 15 ou 20,000 hommes fortement retranchés ; c’était trop pour elle. Hooker, qui est un admirable soldat, tint néanmoins pendant quelque temps, mais il dut finir par céder et se replier, laissant dans ces terribles abatis et dans les bois qui étaient en arrière 2,000 des siens, tués ou blessés, avec quelques canons qu’il avait été impossible de tirer à bras des bourbiers après que leurs chevaux avaient été tués. L’ennemi le suivit dans sa retraite ; la division Kearney, ayant réussi à dépasser les encombremens de la route et marchant au canon au pas de course, rétablit le combat. La lutte n’était plus à ce moment à la lisière de la plaine, elle était engagée dans les bois, et elle restait très vive, car l’ennemi recevait de nombreux renforts. Les fédéraux n’en combattaient pas avec moins de vigueur, encouragés par l’énergie de leurs chefs, Heintzelman, Hooker et Kearney. Kearney surtout, qui a perdu un bras au Mexique et fait dans les rangs de l’armée française les campagnes de Mouzaïa et de Solferino, avait déployé le plus rare courage. Il avait vu tomber autour de lui tous ses aides-de-camp, et, resté presque seul, il électrisait ses hommes par son intrépidité.

Pendant ce temps, la partie de l’armée massée sur la route de droite demeurait inactive. Une division formant tête de colonne était seule arrivée, et les généraux ne pouvaient se résoudre à l’employer avant de voir paraître les troupes qui devaient la soutenir. Or ces troupes étaient arrêtées par les ruisseaux débordés, les routes encombrées, les voitures brisées et embourbées. Pourtant on entendait la terrible fusillade de Hooker décimé et battant en retraite. On l’avait entendue en avant, puis de côté ; elle reculait toujours. Les boulets et les obus arrivaient en sifflant et déchirant les arbres jusqu’au milieu de ces troupes immobiles. Il était trois heures. On se décida enfin à agir : une division pénétra dans les bois pour prendre en travers les régimens confédérés qui ramenaient Hooker, pendant qu’à l’extrême droite une brigade passait la crique sur une vieille digue de moulin que l’ennemi avait né-