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un de ces désastres qui décident du sort d’une campagne. On crut avoir trouvé vers le centre des lignes de Warwick-Creek un point faible à un endroit appelé Lees-Mill. Avec de l’eau à la ceinture, le passage était praticable ; le fond était solide. En face des ouvrages ennemis, il y avait une espèce de plateau découvert sur lequel, pendant le coup de collier, on pouvait amener beaucoup d’artillerie pour les foudroyer. On fit le 16 avril une tentative sur ce point. Dix-huit pièces de campagne ouvrirent leur feu à 500 mètres des batteries confédérées et les firent taire ; puis on fit passer la crique à quelques compagnies des régimens de Vermont. Elles s’avancèrent très bravement, enlevèrent un rifle pit ; mais leurs munitions restées dans leurs gibernes étaient mouillées ; elles ne furent pas soutenues et durent se retirer après avoir perdu une grande partie de leur monde. Sans doute on avait reconnu quelque obstacle imprévu à l’exécution du projet ainsi commencé, car il fut aussitôt abandonné.

Cette dernière opération, comme celle sur Gloucester, n’ayant pu s’exécuter, restait à faire le siège de la place non investie de York-Town. Tous ces tâtonnemens par malheur avaient pris du temps, et le siège lui-même allait en prendre beaucoup encore, bien qu’on le poussât avec beaucoup d’énergie. Dix mille travailleurs se relevant sans cesse furent employés à faire les abatis à travers bois, les routes, les tranchées, les batteries. C’était un curieux spectacle. Un bras de mer étroit, bordé d’une épaisse et puissante végétation, mélange d’arbres de toutes les essences, morts et vivans, enchevêtrés de lianes et de mousses, s’approchait en serpentant du front d’attaque. On en avait fait la première parallèle. Les bois qui l’entouraient étaient une admirable protection. On couvrit de ponts ce bras de mer ; des routes avaient été pratiquées dans les berges, au milieu des tulipiers, des arbres de Judée, des azaléas en fleurs. De cette parallèle naturelle d’autres partaient, faites de main d’homme, et se rapprochant rapidement de la place. Ses défenseurs faisaient sur les travaux qu’ils voyaient, et surtout sur ceux qu’ils soupçonnaient, un feu violent. Les obus sifflaient de tous côtés dans les grands arbres, coupaient des branches, effrayaient les chevaux, mais faisaient fort peu de mal. Personne ne s’en occupait. Le soir, au moment où toutes les corvées rentraient en bon ordre, le fusil sur le dos et la pelle sur l’épaule, le tu-devenait plus vif, comme si l’ennemi eût remarqué l’heure. On allait à cette canonnade comme à un spectacle, et lorsque par une belle soirée de printemps les troupes s’en revenaient gaîment au son de cette musique martiale à travers les bois en fleur, lorsque le ballon qui servait aux reconnaissances était en l’air, on se fût cru volontiers à une fête, et l’on se prenait à oublier pour un moment les misères de la guerre.

Cependant le siège avançait. Une puissante artillerie avait été