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n’attend qu’un signe pour se jeter sur sa proie, avaient donné à réfléchir aux autorités confédérées. Pour mon compte, je suis convaincu que si le Merrimac se fût hasardé en eaux profondes, en dehors des bas-fonds qui obstruent l’entrée du James et de l’Elizabeth-River, là où ses adversaires eussent pu seulement prendre leur élan, il eût sombré en quelques instans. Les officiers fédéraux, sentant l’importance du résultat à atteindre, étaient profondément résolus à y sacrifier leurs vaisseaux et à se sacrifier du même coup eux-mêmes.

En deux mots, la marine des États-Unis pouvait empêcher le Merrimac de sortir en haute mer, et par suite d’aller troubler les opérations militaires dont le York-River allait être le théâtre ; mais le Merrimac en revanche s’opposait à ces mêmes opérations dans le James-River. Immense service rendu par un seul navire ! On a vu plus haut comment il avait été impossible de faire avancer directement et par terre l’armée du Potomac de Washington à Richmond, par suite de la rupture des chemins de fer nécessaires à son alimentation, et du long temps qu’il eût fallu pour réunir leurs tronçons séparés : ici nous voyons la route directe de Richmond par eau obstruée par un bâtiment, débris heureusement échappé à la destruction de l’arsenal de Norfolk, retiré à moitié incendié du fond d’un bassin, et transformé par des mains aussi intelligentes qu’audacieuses en une machine de guerre formidable. Au lieu de remonter les bords du James-River jusqu’à Richmond, de les remonter rapidement avec l’escorte et l’appui d’une puissante flottille, voilà l’armée fédérale réduite à débarquer au milieu de grands hasards à Fort-Monroë pour prendre la route praticable, mais longue et détournée, du York-River. Il va falloir aller à York-Town d’abord, emporter cet obstacle, puis remonter le York-River et le Pamunkey jusqu’au White-House, où finit la navigation. À partir de ce point, où l’on perdra l’appui des canonnières, il faudra s’avancer le long du York-River-Railway, chemin de fer heureusement sans ponts, et par conséquent difficile à intercepter, mais à travers un pays malsain, avec le redoutable obstacle du Chikahominy barrant le passage à quelques milles de Richmond.

Une opération sûre et rapide se changeait de la sorte en une campagne longue et hasardeuse, et cela pour avoir laissé échapper pour quelque temps et sur un point seulement l’empire des eaux. On avait douté de l’efficacité des navires cuirassés, on avait tenu peu de compte du Merrimac avant de le connaître, on en était cruellement puni. Dans l’ouest, les armées de l’Union marchaient de succès en succès, grâce au concours, à l’énergie, à l’esprit d’entreprise de la marine, admirablement secondée par la structure géographique