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tion subalterne quelques jeunes généraux de division qui avaient sa confiance personnelle. On concevra sans peine qu’il y eût là de quoi rendre soucieux même l’esprit le plus fortement trempé. Sa résolution n’en fut pas moins promptement prise.

Poursuivre l’armée confédérée par terre, et la poursuivre jusqu’à Richmond, était à cette époque de l’année une impossibilité matérielle ; on en faisait à l’heure même l’expérience. Une colonne légère commandée par le général Stoneman avait été lancée à la suite de l’ennemi. Cette colonne le trouva en retraite sur le Rappahannock, le long du chemin de fer de Gordons’ville, et eut avec lui deux engagemens de peu d’importance. Mais des pluies survinrent. Tous les ponts étaient enlevés, les gués devenus impassables, les cours d’eau ne pouvaient plus être franchis, même à la nage, tant ils étaient grossis et torrentueux. Les vivres manquèrent à la colonne, et sa situation fut extrêmement critique. Pour la faire connaître, le général Stoneman dut faire traverser une rivière sur des troncs d’arbres, liés avec des cordes, à deux aides-de-camp du général en chef qui l’avaient accompagné. Tel était le pays dans lequel il eût fallu engager l’armée. On était en mars, et les pluies devaient durer jusqu’au 15 juin. De plus, l’ennemi brûlait et détruisait tous les ponts des chemins de fer. Or, avec les besoins du soldat américain et l’énormité habituelle de sa ration, avec la nécessité de tout apporter dans un pays où l’on ne trouve rien et où le moindre orage rend les chemins impraticables, l’armée ne pouvait subsister, si elle ne s’appuyait dans sa marche soit sur un cours d’eau navigable, soit sur un chemin de fer. Notre administration militaire a pour règle que le charroyage nécessaire à une armée de 100,000 hommes en Europe ne peut approvisionner cette armée à plus de trois jours de sa base d’opérations. Là, dans le désert et sans route, je crois qu’il faut réduire cette limite à une journée. Une armée américaine ne peut donc s’éloigner de plus d’une journée du chemin de fer ou du cours d’eau qui l’alimente, et si la voie qu’elle suit se trouve interceptée par des ruptures de pont, elle doit en attendre la réparation, sous peine de se porter en avant sans munitions et sans vivres. Or il y avait sur les chemins de fer qui conduisaient à Richmond des viaducs qui demandaient six semaines pour être reconstruits.

La marche par terre fut donc abandonnée, et on en revint au mouvement par eau ; mais cette opération avait changé d’aspect et n’était plus telle que le général Mac-Clellan l’avait conçue. La révélation de son plan faite à l’ennemi avait permis à celui-ci de prendre ses précautions contre le danger qui l’aurait menacé. L’évacuation de Manassas avait précédé au lieu de suivre l’entrée en campagne de l’armée fédérale. Le mouvement contre Richmond avait cessé