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la discipline la plus rigoureuse. Ce noyau d’armée était excellent ; mais l’insurrection en avait amené la dissolution, ainsi que je le disais tout à l’heure. La majeure partie des officiers (plus de trois cents) avaient passé au sud. Les soldats, tous Irlandais ou Allemands, perdus dans les solitudes du Texas, s’étaient dispersés. À peine revint-il 2 ou 3,000 hommes de Californie ou du pays des mormons pour prendre part à la guerre. Ce qu’il y eut de plus précieux, ce fut le retour d’un certain nombre d’officiers qui purent présider à l’organisation telle quelle de l’armée de volontaires qu’on allait lever.

Dans nos pays, où nous avons appris à connaître la valeur comparative du soldat régulier et de ce soldat amateur, dispendieux et capricieux qu’on appelle le volontaire, on se fût désolé de perdre le concours de l’armée permanente, si petite qu’elle fut. Si on l’avait eue, on se serait appliqué à la grossir par un élargissement de cadres et l’incorporation de recrues. Une armée de soixante mille réguliers eût fait bien plus de besogne qu’un nombre double ou triple de volontaires ; mais en Amérique on ne sait pas cela, et, qui plus est, on ne veut pas le savoir. Ce serait renoncer à la croyance générale, et si profondément enracinée, que tout Américain, quand il veut une chose, trouve en lui, sans apprentissage, la force de la faire, et que par conséquent il n’y a pas de volontaire qui, en endossant l’uniforme, n’endosse du même coup toutes les qualités du soldat. Ajoutez que les officiers de West-Point, par le seul fait qu’ils ont reçu une éducation supérieure et qu’ils reconnaissent la nécessité d’une hiérarchie, sont regardés comme des aristocrates. Or tout ce qui est aristocratique est mauvais. De tels officiers étaient bons avec les mercenaires qui consentaient à leur obéir et à aller sous leurs ordres faire la police pénible des tribus indiennes des frontières ; mais placer sous leur commandement une grande armée, pliée à la subordination des camps, c’était s’exposer à de graves dangers politiques. On ne fait pas un 18 brumaire avec des volontaires. Donc, ayant tout à créer, on se décida à créer une armée de volontaires, armée éphémère, comparativement inefficace, et surtout ruineuse, car le volontaire américain est richement payé : sa solde est de 13 dollars (plus de 65 francs) par mois ; de plus, une pension de 40 francs, également mensuelle, est faite à sa femme en son absence, ce qui, soit dit en passant, a amené bien des mariages improvisés à l’heure de se rendre sous les drapeaux. Point de retenues sur la solde pour l’ordinaire, pour l’habillement ni autre fourniture quelconque. Le volontaire est défrayé de tout et nourri avec un luxe tel qu’on le voit jeter journellement une partie de sa ration. On devine ce que coûte une pareille armée. Si encore on eût gagné à cette dépense d’être bien servi ! mais on l’était fort mal