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On donne des bals et des festins, on observe une étiquette, et la reine Ranavalo aimait à s’entourer du plus fastueux cérémonial. Cette copie de civilisation n’aboutit qu’à une caricature. Point de culture intellectuelle, point de sentiment moral; tout ce qui tient à l’âme et à l’esprit fait complètement défaut chez ce peuple, qu’une longue période de tyrannie a plongé dans l’abrutissement. Voilà l’impression que nous laisse le récit de Mme Pfeiffer, et cependant il est juste d’ajouter que l’indulgente voyageuse ne désespère pas, car dans cette foule sauvage elle a cru distinguer un honnête homme, le prince Rakotond, ami des Européens, protecteur des missionnaires, et destiné, suivant elle, à régénérer Madagascar.

Le prince Rakotond est aujourd’hui le roi Radama II. Bien qu’il soit né deux ans après la mort de Radama Ier, il n’en est pas moins considéré comme l’héritier très légitime de la couronne, et il a succédé sans difficulté à Ranavalo. Celle-ci, pour justifier sa grossesse quelque peu tardive, n’a eu qu’à dire qu’elle avait fait une visite au tombeau de son époux, et la cour s’est inclinée devant cette explication officielle. Le portrait de Radama II, tel que nous le trace M. le commandant Brossard de Corbigny, est conforme aux espérances flatteuses que le jeune prince avait inspirées à Mme Pfeiffer. Les premiers actes du nouveau roi ont été d’abolir l’épreuve du tanguin, de supprimer en partie le régime des corvées, d’accueillir les Européens et les missionnaires. Nous ne décrirons pas les incidens du voyage de M. de Corbigny entre Tamatave et Atanarive, ni l’audience que l’envoyé du gouvernement français obtint du roi, ni ses rapports avec les principaux personnages de la cour. Ce serait la répétition de ce que nous ont appris les récits de Mme Pfeiffer : mêmes difficultés pendant le trajet, même étiquette à la cour. Ainsi que sa courageuse devancière, M. de Corbigny paya son tribut à la fièvre, qui décidément n’épargne aucun des voyageurs qui mettent le pied sur le soi de Madagascar. Il ne prolongea point son séjour à Atanarive, et il revint à Tamatave. Par suite des pluies qui étaient tombées depuis son premier passage, il lui fallut franchir en pirogue une partie des plaines voisines du littoral qu’il avait traversées à pied sec vingt jours auparavant.

M. de Corbigny est demeuré trop peu de temps à Madagascar pour se former une idée bien nette du caractère de la population. Il faut d’ailleurs remarquer qu’il n’a eu de rapports qu’avec l’aristocratie du pays, et que sa situation officielle lui impose une certaine réserve dans ses jugemens. « Le caractère hova, écrit-il, m’a semblé, pendant mon séjour à Atanarive, beaucoup moins fourbe qu’on ne le dépeint ordinairement; mais en revanche j’y ai trouvé un fonds bien caractérisé de vanité excessive, qui paraît héréditaire. J’en citerai quelques exemples bien connus. Radama Ier aimait à comparer ses conquêtes à celles de la France sous le premier empire; il se mettait en parallèle avec Napoléon, et n’avait pu se défendre de la crainte de subir le sort de l’infortuné Louis XVI. Ranavalo, lorsqu’on lui parlait de nos succès en Crimée, ne disait-elle pas avec conviction que, si les Russes étaient vaincus par nous, c’est qu’ils étaient moins forts que les Hovas, car la France et l’Angleterre avaient été battus par eux à Tamatave ! Radama II lui-même, quoiqu’à l’abri des sentimens sanguinaires qui ont été le fond de la politique de ses prédécesseurs, a bien, comme eux aussi, son petit