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recommandation expresse qui lui avait été faite, entrer du pied droit dans la cour du palais. Ranavalo était assise à un balcon du premier étage. Elle avait sur la tête une couronne d’or, et, bien qu’elle fût à l’ombre, on tenait déployé au-dessus d’elle un grand parasol en soie rouge. A Madagascar, comme dans beaucoup d’autres pays situés sous les basses latitudes, le parasol est l’insigne du commandement. Mme Pfeiffer et les Européens qui l’accompagnaient furent présentés à la reine par un de ses ministres; ils eurent à faire trois révérences devant le balcon royal, puis trois autres révérences devant le tombeau du roi Radama Ier Une pièce d’or fut ensuite remise au ministre qui remplissait l’office de grand-maître des cérémonies; c’est une sorte d’impôt levé sur tout étranger qui est présenté à la cour. Ces formalités accomplies, la reine daigna adresser la parole à ses visiteurs, et demanda à Mme Ida Pfeiffer si elle se portait bien, et si elle n’avait pas été atteinte de la fièvre, question qui n’avait rien de déplacé, car l’étranger, dit Mme Pfeiffer, n’échappe que très rarement, même dans la belle saison, à la fièvre intermittente. L’entretien se borna à ce dialogue sur la fièvre, et les visiteurs se retirèrent après avoir répété les révérences devant le balcon et devant le tombeau de Radama. On eut bien soin de leur recommander encore de franchir du pied droit le seuil du palais.

Ce n’était vraiment pas la peine d’avoir fait tant de chemin pour contempler la cour d’Atanarive. Mme Pfeiffer séjourna près de deux mois dans la capitale, qui n’offre rien de bien remarquable. Ce qu’elle y vit des mœurs et des coutumes du pays n’était point de nature à lui laisser d’agréables souvenirs ; aussi le journal de son voyage ne présente-t-il point l’intérêt que l’on trouve dans les récits de ses deux excursions autour du monde. Ses descriptions manquent d’entrain; elles ne respirent point la sympathie que Mme Pfeiffer avait éprouvée pour les sauvages de Bornéo et de Sumatra. Les Malgaches sont de mauvais sauvages. Ils n’ont pas de religion, point de mœurs, point de vertus. La superstition, qui ailleurs est innocente et naïve, ne se manifeste chez eux que par des pratiques cruelles. Les supplices sont affreux et prodigués avec une facilité inouïe. Sous le règne de Ranavalo, les massacres en masse, sous prétexte de rébellion ou de simple mécontentement, faisaient disparaître des villages entiers. L’empoisonnement par le tanguin, sorte d’amande vénéneuse, pouvait être infligé aux individus les plus innocens, pourvu qu’il se trouvât un dénonciateur pour les accuser d’un crime imaginaire en déposant une légère somme d’argent. L’accusé était tenu d’avaler le poison avec une boulette de riz contenant trois petites peaux découpées sur le dos d’une poule. Les parens avaient alors la permission de lui administrer des vomitifs, et, pour être réputé innocent, il fallait qu’il rendît et le poison et les trois peaux; autrement il était impitoyablement exécuté comme un criminel, si la prison n’avait pas suffi pour le tuer. Cette épreuve, aussi dégoûtante que sauvage, a coûté la vie à des milliers d’hommes, les dénonciateurs et la reine étant intéressés à la multiplier, parce qu’ils se partageaient les biens des victimes.

A côté de ces usages barbares, Mme Pfeiffer put remarquer, non pas précisément des indices de civilisation, mais une imitation maladroite et ridicule des mœurs européennes. Il y a à la cour d’Atanarive toute une hiérarchie militaire. Les nobles et les officiers s’affublent de vêtemens d’Europe.