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de donner l’hospitalité aux montagnards qui vont travailler dans la plaine ; le monastère de Golia, qui conserve les traces d’un hôpital d’aliénés ; le monastère de Saint-Sabba, qui avait autrefois une typographie publique destinée à l’impression des livres nécessaires aux églises du pays ; le monastère des Trois-Saints, où le fondateur avait établi l’imprimerie nationale ; le monastère de Galata, obligé de tenir table ouverte pour les pauvres ; le monastère de Saint-Spiridion, chargé de l’entretien d’un hôpital public, etc. Le monastère Vacareschti était obligé de distribuer chaque année un grand nombre d’aumônes sous la surveillance d’une commission de tutelle composée de trois grands dignitaires de l’état. Les actes de fondation contiennent tous de curieux détails sur cette destination si complexe des couvens roumains.

Parmi ces monastères ainsi fondés et dotés par des boyards moldo-valaques ou par des princes, les uns sont libres ἐλεύθερα (eleuthera), les autres sont dédiés[1] à certains établissemens religieux grecs ou, suivant l’expression adoptée, aux saints lieux, situés en dehors des principautés. Les moines grecs prétendent, et là est la cause du litige, que dédicace veut dire donation. Les Roumains soutiennent que le même mot exprime seulement que le monastère indigène a été placé, à de certaines conditions, sous la direction d’un établissement religieux étranger. Le sens que les Grecs attribuent au mot de leur langue qui exprime la dédicace est en contradiction directe avec l’étymologie. À la vérité, ils ont publié en français quelques actes où le mot donation est employé ; mais les Roumains contestent soit l’authenticité de ces actes, soit la fidélité de la traduction, et, pour l’éclaircissement de la question, il est à regretter que l’on n’en ait pas donné le texte en valaque ou en grec.

Mais il ne faut pas s’arrêter à une querelle de mots. Si les mots le plus souvent expriment la pensée, ils servent bien quelquefois à la déguiser. D’ailleurs on ne se tire jamais des questions grammaticales. Comme l’a dit Horace,

Grammatici certant, et adhuc sub judice lis est.


Il faut donc examiner ce qu’est la dédicace en elle-même. Nous prenons d’abord dans le mémoire publié par les moines grecs l’acte de dédicace du monastère de la Sainte-Trinité, appelé Radu-Voda[2].

« J’ai commencé de tout mon cœur à relever le monastère de la Sainte-Trinité avant qu’il fût totalement détruit. Je me suis rappelé mes aïeux, et j’ai dédié le saint monastère susdit au mont Athos, au saint monastère des Ibériens, pour lui être metochie (monastère relevant d’un autre). Et en donnant et dédiant le saint monastère susdit, j’ai trouvé bon et j’ai ordonné, pour connaissance de tous, que celui que Dieu amènera ici des pères et frères du mont Athos pour être igoumêne (supérieur) dans le monastère de la Sainte-Trinité ait à percevoir tout le revenu provenant de

  1. En grec, ἀφιερόμενα (aphieromena), c’est-à-dire consacrés ; en valaque, inkinate, c’est-à-dire inclinés, soumis.
  2. Nous citons la traduction faite par les moines grecs, et c’est assez dire que nous faisons toute réserve sur la portée du mot donation qu’on y rencontre quelquefois, et en général sur le style un peu bizarre de ces textes, d’ailleurs parfaitement intelligibles.