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J’aime ton ciel d’opale et tes hautes collines,
Où se tord la vipère, amante des ruines.
Là des tombeaux! ici des tombeaux! Le soleil
Couvre tes deuils passés de son manteau vermeil,
Indolente victime! et sous la molle soie,
Caressant un poignard, tu t’endors dans la joie;
Ou bien, lorsque le soir verse au loin ses fraîcheurs,
De tes voiles brodés tu lèves les blancheurs.
Autour des gais bosquets de jasmins et de roses,
Qui s’inclinent pour voir tes langoureuses poses,
Ta danse aux pieds nus courbe à peine le gazon;
Au son du tambourin s’envole ta chanson,
Et sur le front neigeux des vierges de l’Asie,
Comme une huile d’amour, coule la poésie.


IV. — TIFLIS.


O reine d’Orient, Tiflis, ville vermeille,
Sous un soleil de feu ton peuple brun sommeille.
Et les flots du Koura, qui roule avec fracas,
Immobile cité, ne te réveillent pas.
A l’ombre des rosiers, les mains pleines de roses.
Sur des coussins brodés, rêveuse, tu reposes;
Les hommes accroupis fument le narghilé.
Pendant qu’à son miroir, le front demi-voilé,
La femme se sourit et sous le peigne étale
De ses longs cheveux noirs la grâce orientale.

Les cieux sont enflammés; une poussière d’or
Flotte dans l’air brûlant sur la ville qui dort;
L’indolente Tiflis, que sa paresse enivre.
Attend le soir plus frais pour s’éveiller et vivre.
Dès que le crépuscule a pâli l’horizon,
L’une après l’autre on voit s’ouvrir chaque maison;
On entend éclater des cris ardens de joie,
Frissonner le feuillage et frissonner la soie;
La danse émeut le cœur des vierges de Tiflis,
Ces vierges dont les bras sont blancs comme des lis.

Partout le tambourin, le fifre et la guitare
Irritent les langueurs d’une chanson tatare.
Et dans l’ombre, à l’écart, on surprend deux à deux,
Sous les jasmins pâmés, l’essaim des amoureux.
Des groupes de buveurs, chantant sans perdre haleine.
Essayant leur folie autour d’une outre pleine.