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II. — A MA SOEUR.


N’as-tu pas rencontré des jours ternes et plats,
Où vers le ciel en vain ton esprit se soulève,
Retombe sur lui-même et dort à moitié las?
On assiste à sa vie, on ne vit pas, on rêve.
Aujourd’hui c’est mon tour, ô ma sœur! aujourd’hui
J’ai le cœur attaqué de tristesse et d’ennui;
Une brume de deuil obscurcit ma mémoire.
Car la patrie est loin, et les amours aussi!
C’est l’hiver : l’aquilon souffle de la Mer-Noire,
La neige à lourds flocons couvre le sol durci.
Et le Caucase blanc à l’horizon s’allonge.
Au temps passé faut-il redemander un songe?
Faut-il rouvrir mon cœur, ce tombeau mal fermé?
Non, je veux avec toi revivre pour une heure.
Voir et revoir encor ton portrait bien-aimé.
Chaque soir je lui donne un baiser, et je pleure!

Ce noble cou, ce front couronné de fierté,
Ce regard attendri qui vaut une caresse.
Ce sourire indulgent, cette douce tristesse,
Cette grâce mêlée à la sérénité,
C’est toi, c’est ton visage, austère et grave, où l’âme
Prend des airs de mystère et veut voiler sa flamme.
Ta tête se détache et respire; on dirait
Que tu vas me parler, que ton œil me devine,
Et qu’un rayon du cœur éclaire le portrait.
Je soupire, et je sens entrer dans ma poitrine
Un peu de ton courage, un peu de ta vertu.
Quand le voyage est long, l’espérance est lointaine.
L’absence est une mort. Ma sœur, où donc es-tu,
Toi vers qui le regret sans cesse me ramène?
Fleur d’or, ton frais parfum, qui traverse les mers,
M’arrive et me remplit de souvenirs amers.

Le temps est loin, ma sœur, où tu marchais à peine :
Haute comme les blés, douce comme un agneau.
Mignonne et déjà fée avec des airs de reine.
De tes petites mains tu cherchais ton berceau ;
Alors, au mois de mai, sur la pelouse verte
Du jardin, tu courais, tête nue, au soleil;
Tu saccageais, riant au firmament vermeil.
Les roses qui pleuvaient dans ta robe entr’ouverte,