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entre eux de leurs tableaux et du public. Ce marché n’est d’ailleurs point inépuisable, et quand une telle planche de salut vient à leur manquer, quelques-uns d’entre eux ont alors recours au pawn-broker. Ce dernier est le prêteur sur gages ; il représente à Londres le mont-de-piété. Sa boutique s’annonce de temps immémorial par trois boules dorées suspendues à une barre ou à un triangle de fer. Sur un tableau qui lui plaît, il avance encore assez volontiers 7 ou 8 shillings. Il y a quelques années, un jeune peintre qui luttait contre l’adversité eut l’idée d’engager pour une somme médiocre, chez presque tous les pawn-brokers de Londres, le même sujet, — un paysage avec un moulin, un bateau et un cheval blanc, — qu’il répétait de toile en toile et pour lequel il avait fini par acquérir, comme on pense bien, une facilité d’exécution prodigieuse ; en quelques heures, le tableau était bâclé. Tout alla bien pendant un certain temps ; mais à la fin de l’année les prêteurs sur gages firent, selon la coutume, la vente des objets qui n’avaient point été retirés : on devine que les tableaux du peintre étaient du nombre, et le marché se trouva encombré tout à coup par le même moulin, le même bateau et le même cheval blanc, tirés à un beaucoup trop grand nombre d’exemplaires, le tout au milieu des rires et des huées de la foule. Ayant brûlé ses vaisseaux de ce côté-là, et n’osant plus montrer son visage aux pawn-brokers, le peintre n’eut guère d’autre parti à prendre que de s’engager comme mercenaire au service d’un marchand de cadres qui faisait profession de réparer et de repeindre les anciens tableaux, c’est-à-dire le plus souvent de les gâter.

Au-dessous de ce travail équivoque, il y a une autre industrie tout à fait déshonnête, qui consiste à contrefaire le style des vieux maîtres, quelquefois même celui des peintres vivans. D’un abîme à l’autre, la pente est rapide ; après s’être fait la main durant quelque temps et avoir acquis une habileté fatale dans ce genre de fraude, le même jeune homme qui avait rêvé la gloire, maintenant désillusionné de tout, de l’art, de la nature, de la beauté, se met à battre de la fausse monnaie sur les œuvres des bons peintres reproduites en cachette ; encore n’est-ce point lui qui tire profit de cette fausse monnaie, c’est l’entrepreneur qui se charge de la mettre en circulation. À côté de cette pratique condamnable, il y a une branche légitime de commerce à laquelle ont recours les peintres sans travail ; le rapin de Londres fréquente volontiers les tavernes et les public houses ; il se peut qu’il soit attiré dans ces endroits-là par l’amour de la bière, mais bien souvent il cherche à courtiser les bonnes grâces du landlord et des habitués, pour instituer à son profit un portrait-club. L’organisation de ce club est très simple ; une douzaine de personnes conviennent de payer un shilling par semaine jusqu’à concurrence d’un souverain ; l’argent est remis