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est évident que là n’est point sa préoccupation dominante. Doué au plus haut degré d’un sens d’observation humoristique, philosophe, moraliste et enclin à la satire, il a peint la comédie humaine de son temps ; plus d’une fois, il est vrai, cette comédie s’élève jusqu’au tragique, et le grotesque devient terrible. On lui reproche même d’avoir peint des scènes trop révoltantes. Gin Lane par exemple (la Ruelle du gin), où une femme abrutie par l’ivresse laisse tomber de ses bras dénoués, de son sein nu et pendant, un nouveau-né ; mais ce qui relève dans les tableaux de Hogarth les détails grossiers, c’est la pensée et l’intention morale. On sent en lui un honnête homme qui appelle crûment les choses par leur nom, et qui ne recule par devoir devant aucune des difformités du vice. Un caractère étant conçu, il le développe volontiers dans un roman domestique à plusieurs chapitres, ou, si l’on veut, dans un drame en plusieurs actes, où il embrasse tout un côté de la vie. C’est ainsi que dans le Mariage à la mode, qui se compose de six tableaux, il a écrit avec le pinceau l’histoire de ces unions exclusivement fondées sur des motifs d’intérêts. Dans le Harlot’s Progress, Hogarth a peint la vie d’une prostituée avec ses divers épisodes ; il la conduit de la chaumière où elle est née dans une auberge, inn, de l’auberge dans un palais, du palais dans un mauvais lieu, du mauvais lieu dans une prison, de la prison dans un hôpital, puis de là dans la tombe. Ces tableaux valent un sermon ; ils n’ont point été étrangers aux institutions charitables fondées dans la ville de Londres pour combattre ce que les Anglais désignent sous le nom de mal social, social evil, et pour racheter les filles infortunées, unfortunate girls. William Hogarth pouvait-il fermer les yeux devant les mœurs politiques de son temps ? Les élections avec les abus auxquels alors elles donnaient lieu revivent dans quatre merveilleux tableaux, le Festin, la Brigue, le Vote, le Triomphe dans un fauteuil. Il y a tel portrait dont on attesterait volontiers la ressemblance, sans avoir jamais vu la figure qui a posé devant l’artiste. Il en est de même des portraits de mœurs tracés par Hogarth, par exemple ses Comédiens ambulans s’habillant dans une ferme. C’est pourtant à tort, selon moi, que des admirateurs trop enthousiastes ont voulu le comparer à Shakspeare ; les Anglais n’ont point de Shakspeare en peinture. Hogarth excelle à dégager le terrible du grotesque : il peint avec fraîcheur des scènes touchantes, ou avec une vérité saisissante tous les détails de l’horreur ; mais le sentiment du grand lui échappe. Une seule limite, — et j’avoue qu’elle est notable, — le sépare souvent de la caricature : c’est l’idéal répandu sur ses ouvrages par une pensée forte et par un caractère ferme, élevé, généreux. À ce point de vue, William Hogarth est