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lui-même, au front vaste et bien ouvert. Tout annonce dans cette physionomie vive et forte la souche rustique, le paysan à la fois intrépide et rêveur du Westmoreland devenu citoyen de Londres. À quoi cependant passait-il son temps dans les intervalles du travail ? Il observait. Comment d’ouvrier se fit-il artiste ? C’est là un point obscur et qui n’a guère été éclairci par ses biographes. Quelques-uns pensent qu’il avait reçu des leçons d’un peintre flamand ou hollandais ; mais tout porte à croire qu’il s’était surtout appuyé, comme disent les Anglais, sur ses propres rames. Il avait étudié son temps, Londres, la société anglaise ; il s’était étudié lui-même. Il commença par graver sur planche des pasquinades ; plus tard, il peignit à l’huile. Un des premiers marchands qui voulurent bien l’employer était un nommé Bowles, qui demeurait au Cheval noir, dans Corn-Hill, et qui lui achetait au poids ses planches gravées, poussant la générosité jusqu’à lui donner une demi-couronne par livre. Désormais fixé sur sa vocation, il vivait dans Leicester-Fields, à la Tête du Peintre, d’où il s’en allait dans la ville avec un tricorne et une roquelaure écarlate. Chemin faisant, il eut le malheur de tomber amoureux. Je dis le malheur, car la personne qu’il aimait était la fille de sir James Thornill, un peintre de la cour, un chevalier, un homme riche et alors célèbre, qui peignait des coupoles de cathédrale à raison de 40 shillings par mètre. Qui ne s’attend à des obstacles ? Ces obstacles, Hogarth les surmonta en enlevant la jeune fille. Ce fut peut-être la seule action romanesque de sa vie, et encore cette escapade se dénoua-t-elle par le mariage, — un bon mariage anglais, avec un intérieur bien calme, plus tard même une maison de campagne pour la femme et un carrosse, quand la fortune eut souri aux insurgés rentrés dans l’ordre. Le beau-père pardonna, à la suite d’une scène arrangée d’avance par mistress Hogarth et sa mère, Alice Thornill ; elles avaient un matin placé les six tableaux de Harlot’s Progress (la carrière d’une prostituée) dans la salle à manger du chevalier, de manière que ce fût la première chose qui frappât ses regards quand il descendrait pour déjeuner, à la vue de ce chef-d’œuvre de Hogarth, le chevalier se frotta les mains. « Très bien ! dit-il ; l’homme qui peut peindre ainsi n’a point besoin que je donne une dot à ma fille. » Ce fut la réconciliation. William Hogarth atteignit une longue et robuste vieillesse. En 1764, il dessina pour la dernière fois une sombre et magnifique allégorie au bas de laquelle il écrivit : Finis. « Maintenant, dit-il, il ne reste plus rien que cela, » et il tira de son armoire une palette brisée.

La vie de l’homme nous initie déjà au genre et à la manière du peintre. William Hogarth saisit volontiers la beauté au vol ; mais il