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toiles, ont été aussi fort remarqués. Tout en admettant en théorie la supériorité des sujets religieux ou historiques, les Anglais ont un faible pour les tableaux de genre, et les trois peintres qui vont le plus sous ce rapport au cœur de nos voisins sont M. Édouard Frère, M. Jules Breton et Mme Henriette Browne. En somme, le goût des deux nations diffère profondément. Pour connaitre les idées des Anglais sur les beaux-arts, il nous faut parcourir leur galerie de peinture, qui, placée à côté de la nôtre, ne la touche guère néanmoins que par des contrastes.


II.

Passer de la France à la Grande-Bretagne, c’est aller, même dans le domaine des arts, de l’autorité à la liberté. On peut dire qu’au-delà du détroit il n’y a point de maîtres, en ce sens qu’il n’y a point de peintres réunissant autour d’eux une cour, une école, représentant un système, et dont on puisse suivre à la piste les différentes manières sur les ouvrages de leurs élèves. Ce qui domine ici est un caractère tranchant de personnalité. Chacun fraie sa voie comme il peut et fait sa gerbe comme il l’entend. On peut même dire que pour les artistes anglais il n’y a point de gouvernement. En France, l’état est entrepreneur de beaux-arts, comme il est tout ; il emploie une armée de peintres et de sculpteurs, qui deviennent ainsi à différens degrés des espèces de fonctionnaires publics ; il distribue ses faveurs aux uns, les refuse aux autres, et ce n’est un secret pour personne que des talens distingués ont souvent porté la peine de leurs opinions politiques. Rien de semblable n’existe dans la Grande-Bretagne, où l’état s’abstient d’intervenir et de protéger, laissant ainsi à la société le soin d’encourager elle-même les beaux-arts et les artistes. De cet abandon selon les uns, de cette liberté selon les autres, est sortie une conséquence qu’il était facile de prévoir : les Anglais ont très peu de peintres d’histoire et de tableaux religieux. Pour la peinture religieuse, il y a d’abord un obstacle à son développement dans les idées de l’église réformée : en Angleterre, les temples sont nus ; le protestantisme anglican est un culte immatériel, moral et sévère ; il ne s’adresse point aux sens, il ne parle qu’à l’esprit ; il a deux ailes pour élever l’homme jusqu’à Dieu, la parole et la prière. Quant à la peinture historique, il est visible qu’elle se rattache aux monumens publics, et qu’elle ne pouvait fleurir chez un peuple où le gouvernement tient à honneur de ménager la bourse des contribuables. Parmi les peintres anglais, Haydon, cet artiste audacieux dont tout le monde connaît la fin malheu-