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natal, dans les sombres souvenirs de son histoire, dans quelques traditions locales, une véritable école qui a fortifié, je n’en doute point, chez les Belges un patriotisme d’abord vague et peu décidé. Ce sentiment a inspiré plusieurs paysagistes, tels que MM. de Senezcourt, Fourmois, Robbe et Verbœckhoven. Une église à flèche amincie, un sentier serpentant sous des blés mûrs étoiles de bluets et tout flambans de coquelicots, de grasses prairies bordées de saules avec des nappes d’herbe vigoureuse et des flaques d’eau, des troupeaux tranquilles qui broutent en liberté, telle est généralement la physionomie des paysages belges. Une nuée de peintres wallons ou flamands se sont répandus comme à l’envi dans d’autres sentiers, glanant ou moissonnant çà et là des gerbes plus ou moins abondantes. M. Madou illustre les costumes du dernier siècle ; M. Verlat s’attache à la vie des animaux ; MM. Alfred Stevens, Meunier, Dillens, de Groux, Willems, de Block, Tshchaggeny, ont saisi divers aspects de la comédie humaine, tandis que la peinture d’histoire se trouve représentée par MM. Leys, Slingeneyer et Louis Gallait. Le drame de la mort d’Egmont et de Horn choque un peu le goût anglais par l’horreur du sujet, — deux cadavres, des têtes coupées, — mais nos voisins admirent dans les trois tableaux, tout en détournant les yeux, certaines qualités magistrales. La peinture est, avec l’industrie, le seul côté par lequel la Belgique réussisse à être elle-même en face de la France.

Je n’apprendrai rien de nouveau en disant que l’école française occupe à l’exposition de Londres un rang considérable. Comme les tableaux choisis parmi les peintres vivans depuis 1850 et parmi les peintres morts depuis 1840 sont déjà connus des lecteurs de la Revue, je ne m’y arrêterai point. Je ne veux ici que constater l’effet produit sur les Anglais par les ouvrages de nos artistes. En somme, cet effet a été très favorable. Je dois pourtant ajouter qu’ils reprochent en général aux tableaux français une certaine uniformité dans le style, attribuée par eux à l’influence de quelques écoles prépondérantes, telles que celles de M. Ingres et de M. Eugène Delacroix. Ce n’est point sans effort qu’ils arrivent à admirer la Source de M. Ingres ; mais ceux qui y réussissent se déclarent ravis par ce dessin sévère et cette recherche ascétique de la beauté. Les Illusions perdues de M. Gleyre, que j’ai entendu définir par une Anglaise « le soir de l’âme en harmonie avec le soir de la nature, » ont généralement charmé le public anglais à cause du sentiment poétique qui règne dans cette gracieuse composition. Les Gladiateurs de M. Gérome, Marie-Antoinette et une Martyre romaine de Delaroche, les Gardiens du Sépulcre de Decamps, l’Etudiant et le Déjeuner de Meissonier, le Labour de Mlle Rosa Bonheur, avec quelques autres