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bagages, et parmi lesquels se distingue un jeune taureau obstiné. Il est permis enfin de se figurer ce que doit être le droit du plus fort dans les parties de l’empire qui touchent au monde barbare en examinant le tableau de M. André Popof, une Scène de la foire de Nijni-Norgorod, qui nous montre des Mongols pillant la corbeille d’une marchande de fruits. Il y a certainement des promesses d’avenir dans l’école russe : une seule chose m’inquiète, ce sont les traces de corruption précoce qui se révèlent dans quelques branches de cette peinture, comme aussi dans quelques ouvrages des écrivains moscovites. Des tableaux d’une jeune école où s’étalent des nudités sans goût et sans beauté ressemblent à ces enfans qui naissent vieux. Au reste, la peinture russe a déjà fait un grand pas en sortant de l’ornière des académies ; elle semble aujourd’hui convaincue de l’impuissance de l’autorité à créer des artistes, et commence à prendre conseil de la nature. Il lui reste, pour conquérir un rang honorable, à se dégager des liens de l’imitation étrangère. Même quand ils traitent des sujets nationaux, les peintres moscovites se montrent encore beaucoup trop dominés par les souvenirs de l’école française et de l’école germanique.

Le groupe des nations scandinaves a été réuni, et avec raison, dans la même salle. Nous commencerons par la Norvège. Plus encore que les artistes russes, les peintres norvégiens s’attachent à leur dure contrée. Il en est de l’amour du pays comme de tous les autres amours ; ce ne sont pas toujours les caractères doux et les traits réguliers qui inspirent les passions les plus fortes ; un poète anglais a dit : « C’est aux angles que s’accroche le cœur. » Or les angles ne manquent point dans la nature du Nord. Parmi le groupe des peintres norvégiens, les uns se sont inspirés du paysage, les autres se sont consacrés à écrire l’histoire des mœurs domestiques. MM. Gude, Dahl, Fearnley, appartiennent surtout à la classe des paysagistes. Une Scène de montagnes en Norvège, de M. Gude, représente vivement le caractère désolé des rochers vus au clair de lune. Une Forêt norvégienne du même artiste, avec un cheval et des enfans enveloppés par le mystère solennel des grandes ombres et du feuillage, nous initie aux grandeurs et aux beautés muettes d’une région imposante et heurtée. Une Chute d’eau à Hougsund, par M. Dahl, avec des troncs d’arbres, sorte de ponts de bois jetés au-dessus du courant, et une Cataracte près de Kongsberg, par M. Fearnley, nous donnent bien une idée des effets que l’eau, c’est-à-dire l’âme et le mouvement du paysage, répand sur des roches plissées, déchirées, « antiques haillons du déluge, » a dit Coleridge. La verte nature du Nord sourit à travers ces rides vénérables. Il y a pourtant des spectacles qui, par la grandeur même, échappent au do-