Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 41.djvu/670

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

que Cicéron déclare inséparable de la bienveillance[1], et que rendent d’ailleurs naturelle les épreuves et les déceptions de la vie.

Nous avons vu un grand gouvernement, dont les institutions étaient ou souhaitées ou déjà imitées par toute l’Europe, tomber dans la plénitude de sa force et par l’effet même d’une confiance que l’histoire aura à juger. Prise d’assaut par les barbares, la France ne tarde pas à leur échapper, car ses mœurs ont survécu à ses lois disparues dans la tempête, et elle a conservé la liberté, si étranges que soient pour elle les formes nouvelles sous lesquelles celle-ci s’exerce. La France honnête et libérale a gardé pour se défendre l’arme puissante de la presse, qui va lui profiter désormais bien plus qu’à ses ennemis; elle retrouve bientôt celle de la tribune, où remontent la plupart des hommes formés par les grands débats et par la pratique des affaires. Ni les moyens ni les guides ne lui manquent donc cette fois pour se relever ; elle sauve aux élections générales pour la constituante l’ordre social par un acte d’intelligente déférence, et se prépare à commencer sous le drapeau républicain l’épreuve qui a si mal tourné sous le drapeau monarchique. Malheureusement à cette tentative, à laquelle s’associent d’abord loyalement les classes éclairées, et dont l’effet moral, si elle avait réussi, aurait transformé la France, les masses populaires opposent un invincible veto. Usant du droit suprême qui leur a été reconnu, elles prononcent, pour faire acte de souveraineté, un nom qui devient dans l’opinion le coup de mort de la république. Celle-ci expire étouffée dans les bras du suffrage universel, comme l’artiste de la légende allemande dans ceux de la statue à laquelle il avait communiqué la vie. Le peuple fait un prétendant, rendant ainsi à chacun le droit d’avouer le sien et de relever son propre drapeau; mais, si légitime qu’un pareil droit soit devenu pour les diverses opinions monarchiques depuis le 10 décembre, l’exercice n’en atteint pas moins profondément dans sa force le grand parti constitutionnel. Divisé par des vues toutes différentes, subissant et les illusions de la foi qui compte toujours sur la Providence et celles de l’habileté qui estime suffire à tout par l’esprit et par la souplesse, il va se dissolvant de plus en plus sous l’influence latente qui se développe et s’affermit. Du jour où s’opéra la révocation du général Changarnier jusqu’à celui qui vit rejeter la proposition dite des questeurs, par suite du refus que fit le parti républicain de s’associer à une politique agressive qui ne pouvait lui profiter, l’assemblée soutint une sorte de siège en règle, voyant chaque jour se rapprocher les parallèles, perdant l’un après l’autre tous ses postes avancés, et

  1. Justitiæ conjuncta est beneficentia, quam camdem vel benignitatem, vel liberalitatem appellari licet. » De Officiis, lib. I. c. 7.