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l’empire ne pouvait laisser pressentir en aucune façon la tentative constitutionnelle entamée durant les cent-jours avec une sincérité dont un illustre historien a cru pouvoir se porter garant. Lorsque Napoléon signait le concordat et restaurait en France le culte catholique, il poursuivait une autre pensée que lorsqu’il faisait enlever Pie VII par un colonel de gendarmerie, et qu’il rêvait un pape installé dans un palais impérial avec de gros appointemens. Je ne vois pas non plus par quelle filiation logique on pourrait rattacher le glorieux traité de Lunéville, fondé sur la théorie des frontières naturelles, aux traités de Tilsitt et de Presbourg, qui scellèrent l’asservissement de l’Europe par l’anéantissement des plus vivaces nationalités et par la subordination de tous les peuples continentaux à la suprématie de la France. J’ai quelque peine à considérer comme un hommage à la démocratie moderne, et surtout comme une inspiration du génie contemporain, la tentative obstinément poursuivie, au prix du sang d’un million d’hommes, depuis Austerlitz jusqu’à la Moskova, afin de reconstituer l’empire de Charlemagne, en lui donnant pour état une aristocratie militaire dont le luxe aurait fait pâlir l’éclat de Rome et de Byzance. J’admets très bien que la cause démocratique a pu profiter en Europe des coups mortels portés par Napoléon Ier aux vieilles dynasties et des alliances de famille qu’il contractait avec elles; mais si, en instituant une noblesse impériale avec des dotations et des majorats héréditaires, si, en mariant les princes ses frères dans les maisons souveraines et en introduisant une archiduchesse d’Autriche dans sa couche, l’empereur Napoléon faisait de la démocratie, c’était assurément sans le savoir, et son moindre souci était alors de mériter les éloges qui lui en reviennent aujourd’hui. Ce qui manque à ce règne, rempli par la pensée puissante, mais mobile, d’un seul homme, c’est précisément l’intuition du génie contemporain et la persévérance dans une idée vraie et féconde. L’histoire lui profitera moins que la légende, parce que les générations futures, étrangères à ces fortes émotions dont nous avons vu le réveil, feront de vains efforts pour les comprendre, et qu’elles demeureront confondues en voyant la conquête du monde aboutir à deux invasions, et tant d’intelligence paralysée par tant d’aveuglement.

Les pairs historiques de Napoléon ont sur lui, sous ce rapport, un avantage qu’il est impossible de méconnaître, car l’esprit politique, en s’introduisant dans l’étude de l’histoire, a fait comprendre de plus en plus l’importance de l’œuvre accomplie par chacun d’eux. Tout le monde sait aujourd’hui qu’à Alexandre appartient l’honneur d’avoir arraché la domination du monde au génie asiatique pour la transférer au génie européen; l’on est porté à pardonner à César ses attentats contre la liberté en songeant que l’établissement de