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sur leurs besoins et sur leurs vœux, se dédommageait-il de ne pas commander l’armée en la haranguant à la barbe de la constitution, lui arrivait-il de dire des choses fort étranges et d’entendre sans aucune humeur des cris fort peu républicains, l’assemblée se fermait les oreilles pour n’avoir pas à ouvrir la bouche, semblant peu pressée d’entamer une lutte qu’il faudrait soutenir derrière les remparts à demi démantelés de la constitution Marrast.

Si l’on se trouva des deux côtés conduit à engager cette lutte pour ainsi dire malgré soi, c’est que l’on représentait deux idées radicalement contraires, et que le progrès des événemens ne tarda point à rendre cette incompatibilité plus évidente à tous les yeux. Si divisée que fût la législative par les intérêts dynastiques, elle était l’expression fortement convaincue d’une pensée à laquelle cette honorable assemblée se ralliait presque tout entière. Cette pensée, c’était la théorie parlementaire qui consiste à placer le gouvernement au sein même de la représentation nationale, de manière à remettre à l’opinion publique, éclairée par des débats journaliers, l’initiative des mesures et le jugement définitif des actes consommés. Faire du pouvoir le juste prix de l’influence laborieusement acquise, élever le niveau moral de la nation par les nobles émotions et la responsabilité de la vie publique, telle était la doctrine à laquelle adhéraient alors toutes les fractions de l’opinion conservatrice avec une unanimité chaleureuse. En face de cette doctrine-là, qui était depuis trente ans celle de toute la France libérale, commençait de s’en élever une autre. qui avait déjà son public, ses journaux et ses écrivains officieux, pour lesquels la manne des fonds secrets ne tombait pas en vain du ciel. Cette doctrine, invoquée dans des banquets, formulée dans des manifestes, présentée chaque matin au pays comme la seule solution possible des douloureuses incertitudes qui arrêtaient l’essor de miraculeuses prospérités, c’était, on l’a déjà deviné, celle qui venait se résumer dans l’idée dite napoléonienne. Qu’est-ce que l’idée napoléonienne? La question valait la peine d’être soulevée en 1850, puisque de son issue dépendait celle de la querelle engagée entre le pouvoir exécutif et l’assemblée, et elle n’a rien perdu assurément en 1862 de son intérêt ni pour la France ni pour l’Europe. Je l’aborde donc avec l’esprit aussi libre que si j’avais à résoudre un problème historique posé par Thucydide ou par Tacite.


IV.

Lorsqu’on s’efforce de dégager l’idée-mère du grand homme devant qui la terre s’est tue quinze ans, il est impossible de ne pas se sentir fort embarrassé. La pensée du consulat ne fut pas en effet la même que celle de l’empire, et l’œuvre colossale poursuivie par