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eux, il n’était pas impossible de prévoir à qui demeurerait l’avantage final dans cette lutte de la parole contre le silence, et d’idées disparates contre une idée fixe. Il y a longtemps que Machiavel a exposé les avantages que possède le pouvoir concentré dans un homme pour triompher de la puissance collective d’une assemblée; mais en dehors des raisons générales il en était une autre plus décisive : c’est que le président seul avait foi et confiance, parce qu’il était résolu à remettre de gré ou de force la solution du conflit au peuple, dont son élection venait de consacrer l’omnipotence. Tant que le vote universel direct demeurait le principe générateur de nos institutions, Louis-Napoléon était en effet plus fort que le parti républicain, contre lequel l’épreuve du scrutin avait si tristement tourné, plus fort que les partis royalistes, séparés par des doctrines incompatibles et contraints de s’abriter derrière une constitution qu’aucun d’eux ne considérait comme définitive.

Si les deux grandes opinions monarchiques qui formaient la majorité de la législative avaient été douées de cette sagacité politique que les plus hautes qualités du caractère et de l’intelligence ne remplacent pas, elles auraient compris qu’elles se trouvaient en présence d’une force résolue à épuiser à tous risques les chances de la fortune, et que le jugement définitif du conflit qui provoqua leurs dédains avant de susciter leurs craintes n’appartiendrait ni à l’assemblée, ni aux salons, ni à ce monde d’élite perdu dans l’abîme du suffrage universel comme une goutte d’eau dans l’océan. Au lieu de se confier, comme Démosthène le reprochait aux Athéniens circonvenus par Philippe, à la vaine agitation des meneurs, et d’opposer des paroles à des actes[1], les deux partis, pénétrant jusqu’au principe de leur propre impuissance, auraient reconnu qu’en cas de lutte extraparlementaire, le président aurait sur eux le décisif avantage de voir chacun préférer le triomphe de l’adversaire commun à celui de ses alliés, et que dès lors il fallait ou décliner le combat ou l’aborder avec des chances sérieuses de pouvoir le soutenir.

Dans une situation aussi troublée que l’était alors celle de la France, la première condition pour demeurer maître de l’avenir, c’était de pouvoir laisser entrevoir au pays un dénoûment immédiat. Or les deux partis monarchiques faisaient trop bonne garde l’un contre l’autre pour ne pas se paralyser mutuellement, et pour qu’il leur fût donné de dégager la formidable inconnue qui était alors l’effroi de toutes les âmes. Pour ces partis, aucune épreuve n’aurait été plus funeste que celle du succès, car leur victoire eût été le signal le plus assuré de leur division. Si la majorité avait reçu en partage cette pénétration qui enlève au hasard ses chances et à

  1. Εϰείνω μὲν αἱ πράξεις, ὑμῖν δ’ οῖ λόγοι (Ekeinô men hai praxeis, humin d’ oi logoi). Philipp. secund. Exord.