Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 41.djvu/659

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

cédente. Les vides nombreux laissés dans les rangs des hommes du National étaient remplis par d’ardens montagnards, et ceux-ci ne manquèrent pas d’attribuer l’affaissement très sensible du sentiment républicain à la lutte ardente engagée depuis les journées de juin contre les clubs et le socialisme. M. Ledru-Rollin lui-même, commençant à comprendre que la défroque de Robespierre était usée, et que la France refusait de se laisser inoculer à froid la rage de 93, dut vaincre ses répugnances et tendre la main aux chefs socialistes afin de se donner une armée, au risque d’être contraint de la suivre. En 1849, la république démocratique épousa donc solennellement le socialisme, dont elle s’était d’abord énergiquement séparée, et ce fut, à vrai dire, celui-ci qui s’échappa par le vasistas du Conservatoire lors de l’échauffourée provoquée par la discussion sur les affaires de Rome. Sous la législative, rien ne subsista plus de l’œuvre chantée par M. de Lamartine et servie par l’épée du général Cavaignac, rien, si ce n’est une constitution républicaine mort-née, interprétée par une majorité royaliste et appliquée par un prétendant impérial : position déplorable pour des partis honnêtes à qui la dissimulation et le mensonge ne sauraient profiter. Jamais spectacle ne porta un coup plus funeste à la moralité politique d’une grande nation que celui dont la France fut témoin depuis l’ouverture de la législative jusqu’au 2 décembre 1851. Le pays vit en effet, durant deux mortelles années, les hommes les plus éminens s’user et s’amoindrir entre des velléités impuissantes et des hésitations continues, jusqu’au jour d’un dénoûment prévu par tout le monde, sans que personne tentât un effort sérieux pour le prévenir : conclusion fatale que la France, torturée d’angoisses, accueillit comme une solution dans une situation réputée insoluble.

Quoique le président eût accepté des chefs de l’assemblée la liste de son premier ministère, comme aurait pu le faire un monarque constitutionnel, un désaccord prochain ne pouvait manquer de se révéler entre le chef de l’état et les diverses opinions parlementaires, dont le rapprochement accidentel avait constitué ce qu’on appelait alors, par une sorte d’antiphrase, le grand parti de l’ordre. L’entente sur les questions du jour n’imposait en effet à personne ni le sacrifice de ses antipathies ni celui de ses espérances. Ce désaccord profond, lors même qu’il était dissimulé avec le plus de soin, dut prendre le caractère d’un grand conflit constitutionnel sitôt que le prince Louis-Napoléon, arguant de sa propre responsabilité et de la transformation opérée dans les principes du gouvernement, se fut résolu à substituer dans son cabinet aux hommes qui n’y exprimaient point sa pensée les serviteurs de sa politique personnelle. En observant les allures de partis plutôt juxtaposés qu’alliés et celles de l’adversaire calme et résolu qu’ils rencontraient devant