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raines, en n’y dérogeant que pour la seule dynastie impériale, de telle sorte qu’entre les diverses candidatures princières, celle de Louis-Napoléon se trouvait être désormais la seule constitutionnellement possible. Servi près des partis extrêmes par des manœuvres secrètes et des dévouemens peu scrupuleux, ce prince le fut surtout par les clameurs impuissantes, qui auraient suffi pour le poser en prétendant, s’il avait jamais pu être autre chose.

Il serait difficile de décider si, en faisant, au 10 décembre 1848, de l’héritier de l’empereur Napoléon le chef électif de la France, le gros de ses électeurs entendait lui déléguer le mandat tacite de renverser bientôt la république. Il est certain tout au moins que le président n’en reçut pas celui de la consolider. Ce qui est plus manifeste encore, c’est que le texte de la constitution du 12 novembre et les interprétations auxquelles ce texte pouvait donner lieu touchaient fort peu les populations rurales. Profondément irritées contre les ex-commissaires transformés en préfets, qui, en s’abattant sur le pays, y avaient fait baisser le prix des bestiaux et hausser celui des remplaçans, elles saisirent avec bonheur l’occasion de faire pièce à ces austères démocrates amollis déjà par les douceurs de la vie administrative, et qui, en voyant le suffrage universel se retourner contre eux avec un gros éclat de rire, ressemblaient à des renards pris au piège.


III.

Cinq millions quatre cent mille suffrages vinrent donc conférer au prince Louis-Napoléon la plus mal définie des missions politiques. Le mécanisme constitutionnel encore incomplet ne pouvait manquer de rendre les problèmes plus nombreux et d’en compliquer la solution. Pour la première fois en effet depuis plus de trente ans, le chef de l’état, dépouillé de l’inviolabilité, exerçait un pouvoir dont l’usage le rendait personnellement responsable envers la nation, — intervention qui ne pouvait manquer, si naturelle qu’elle fût dans l’ordre nouveau où l’on venait de se placer, de bouleverser toutes les idées au sein de la chambre, en contrariant dans leurs habitudes les plus invétérées les conseillers choisis par Louis-Napoléon, à la tête desquels figurait l’honorable M. Odilon Barrot comme président du conseil. Ces hommes politiques avaient vécu sous un régime où l’opposition n’admettait d’autre initiative que celle des ministres, d’autre limite à l’action ministérielle que l’autorité constitutionnelle des chambres. Le jeu des institutions républicaines allait donc heurter de front toutes les idées reçues dans le conseil, dans les chambres et dans le pays. Pour comble d’embarras, par suite de cet empressement aveugle à jeter les dés et à interroger le sort, l’assemblée