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des épaulettes de sous-lieutenant. L’homme qui avait sagement gouverné l’état durant quatre ans perdait le droit attribué au plus obscur des citoyens, car il ne pouvait plus réclamer les suffrages de la nation, et la même interdiction atteignait ses parens et alliés jusqu’au sixième degré : dispositions restrictives inspirées par une prévoyance que l’on croyait habile, et qui n’étaient pas même un obstacle, s’il se rencontrait un président assez confiant dans ses services ou dans le prestige de son nom pour en appeler directement au pays par-dessus la tête de ses représentans !

D’ailleurs les appréhensions qui avaient envahi les âmes, les nuages amoncelés autour d’un nom déjà murmuré par la foule firent prévaloir presque toujours, durant cette discussion solennelle, les calculs de la prudence sur les enseignemens de la théorie. Si l’on vit succomber par exemple, malgré l’autorité de l’expérience et du bon sens, le système des deux chambres, si l’assemblée refusa à la vivacité française ce dernier refuge contre elle-même, une seule considération décida son vote : elle ne voulut pas, sous le coup d’appréhensions plus vives d’heure en heure, s’exposer à la chance de voir les anciens concourir à jeter une fois de plus les cinq-cents par les fenêtres. Cette constitution fut l’œuvre d’hommes d’autant plus ombrageux qu’ils avaient de leur faiblesse une conscience plus profonde : ce fut un autel érigé à la peur.

Par quel miracle l’assemblée, placée en présence d’un nom déjà sorti quatre fois de l’urne électorale, et qu’il avait suffi de prononcer pour ébranler la république, repoussa-t-elle la proposition très politique de réserver à la représentation nationale le choix du chef de l’état, au moins pour la première épreuve des institutions nouvelles? C’est là le secret de Dieu, tant la résolution de confier un pareil choix à l’entraînement du peuple consulté par la voix du suffrage direct semble contraire aux lois ordinaires de la prudence et du bon sens qui régissent les choses humaines. Il y a dans une pareille faute, commise gratuitement en présence de périls qui déjà n’échappaient à personne, je ne sais quel caractère mystérieux et fatal, et lorsque M. de Lamartine, dédaignant les exemples de l’Amérique et ses propres pressentimens, s’écrie, avec une sorte de désespoir, qu’il faut enfin jeter les dés pour arracher son secret à la fortune, on dirait que, dans le trouble qui le dévore, il veut terminer d’un seul coup le long supplice de ses incertitudes[1]. Mais lorsque, abandonnant l’avenir à toutes les chances du hasard, l’éloquent orateur pousse le cri du vaincu de Pharsale, il s’abuse étrangement

  1. « Alea jacta est ! Que Dieu et le peuple prononcent! Il faut laisser quelque chose à la Providence!... Si le peuple veut qu’on le ramène aux carrières de la monarchie, s’il veut répudier l’avenir qui s’ouvre devant lui pour courir après je ne sais quel météore qui lui brûlerait les mains, il est le maitre! Il est son propre souverain, il est roi! Ce n’est pas à nous à lui dire : « Tu feras cela, tu n’iras pas plus loin ! » S’il veut se perdre, nous dirons comme le vaincu de Pharsale :

    Victris causa diis placuit, sed victa Catoni,


    et cette protestation, qui serait l’éternelle accusation de cette nation, assez abandonnée pour compromettre ainsi sa liberté, cette protestation serait, à nous, notre absolution devant la postérité. » Moniteur du 6 octobre 1848.