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ferries aux Leviathans de toute espèce oui promènent voyageurs et marchandises sur les lacs et sur les fleuves américains. Pouvoir nourrir et coucher à bord de sept à huit cents personnes, tel est le problème. Nous n’en connaissons la solution que sur nos vaisseaux de ligne, c’est-à-dire avec les simplifications d’une caserne, tandis qu’ici aux nécessités de la vie sout réunis tous les raffinemens du comfortable, du luxe même, en un mot toutes les complications d’un hôtel. Rien n’y manque, restaurant, café, coiffeur, bains, etc. D’interminables rangées de cabines s’étagent sur toute la longueur du bâtiment. De magnifiques salons aux tapis épais, aux boiseries peintes, dorées ou revêtues de glaces, vont également de bout en bout. Trois ou quatre ponts se superposent l’un à l’autre depuis le rez-de-chaussée, que l’on réserve aux marchandises et aux animaux, et au centre, dominant le tout comme le clocher d’une cathédrale, se meut majestueusement le balancier de la machine qui donne à ce monde flottant une vitesse de vingt-cinq kilomètres à l’heure. Parfois le soir on voit passer sur l’eau ces palais illuminés; il semble que ce soit un rêve.

À cette époque, qui eût jugé New-York d’après la rade ne se fût assurément pas figuré que le pays se débattait dans une crise dont l’issue reculait de jour en jour. A peine de temps à autre voyait-on entrer un vapeur chargé de prisonniers ou de blessés venant du sud de la côte. L’Ile du Gouverneur, où s’exerçaient incessamment les troupes en attendant le départ pour l’armée, rappelait seule que l’on était en guerre. Pour se faire une idée des souffrances matérielles du pays, il fallait aller au théâtre même des opérations, dans ces campagnes où l’évaluation des valeurs anéanties, tant en sucre, en coton, qu’en biens de tout genre, montait déjà à près de 400 millions de francs. New-York pourtant ne devait pas tarder à ressentir le contre-coup de ces désastres multipliés. Ainsi l’Angleterre, qui tient de beaucoup le premier rang dans son commerce maritime, l’Angleterre, qui en 1860 avait envoyé aux États-Unis pour près de 550 millions de marchandises, n’y avait plus exporté en 1861 que pour 225 millions. Il en était de même, sur une échelle moindre, pour les autres nations. Jusque-là, grâce à une recrudescence momentanée dans le commerce des farines, et grâce surtout aux énormes dépenses de la guerre, qui, pour la plupart, aboutissaient plus ou moins à New-York, la ville avait relativement peu souffert; mais tout va vite aux États-Unis, et la situation a promptement changé. La métropole américaine est aujourd’hui revenue des dangereuses illusions dont on l’avait trop longtemps bercée; elle sait Qu’elle va sentir véritablement le poids de la guerre, et elle sait aussi que de son attitude dépendra en grande partie celle du pays. J’ai la