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l’intelligence du coin du théâtre de la guerre qui avait spécialement trait aux opérations du jour. Lorsqu’arrive le courrier d’Europe, il est d’abord intercepté au large du cap Raze, et les principales nouvelles sont transmises par le télégraphe, le tout aux frais de la presse réunie. On gagne ainsi deux ou trois jours, après quoi, outre le résumé obligatoire, nos journaux et ceux d’Angleterre sont reproduits in extenso en caractères microscopiques, sans distinction d’opinions, aussi bien ceux qui attaquent que ceux qui défendent la politique Lincoln, laquelle, c’est une justice à lui rendre, était lors de notre séjour soutenue en masse par la presse du nord. À coup sûr, un pareil fouillis ne peut rien avoir de bien littéraire. Les editorials, qui correspondent à ce que nous appelons premiers-Paris ne brillent ni par le fond, ni par le goût, ni par la forme ; mais c’est ce dont on se soucie le moins. Le travail du journaliste n’est qu’un métier comme un autre, où l’on reste rarement assez longtemps pour se faire connaître, et, à part quelques exceptions, comme MM. Greeley ou Bennett, qui doivent à cette carrière leur fortune et l’importance de leur position politique, nul ne sait quel nom attacher à la gazette qu’il vient de lire. Qu’importe ? On est journaliste aujourd’hui à la suite d’une baisse sur les dry goods, où l’on a quelque peu fait faillite la veille ; demain l’on sera aubergiste, ou tout simplement cafetier (bar-keeper), sans cesser pour cela d’être colonel au besoin, et, Dieu aidant, le jour viendra où l’on sera millionnaire à son tour, pour se ruiner ensuite et léguer à ses enfans, avec son exemple, sa place sur la roue de la fortune. Aux États-Unis, nulle déconsidération ne s’attache à ces perpétuels changemens d’une profession à une autre, si disparates que soient d’ailleurs les positions successives. En d’autres termes, on n’y connaît pas de sots métiers, et cela probablement parce que l’on y voit peu de professions qui soient vraiment libérales dans le sens que nous attachons à ce mot.

La vente d’un journal à New-York, et à plus forte raison dans l’intérieur, couvre à peine les frais de publication. Les annonces représentent le bénéfice. C’est assez dire l’importance de leur rôle, et l’on s’en rendra compte par ce seul fait, qu’il est tel numéro du New-York Herald, la plus répandue des feuilles américaines, où l’on peut compter de trente-cinq à quarante colonnes d’annonces qui formeraient un carré de 1m 25 de côté ! J’hésite presque à l’avouer, mais à mon sens c’est là, c’est à cette quatrième page dont la taille ne comporte plus l’appellation consacrée de petites affiches, que se révèle peut-être un des côtés les plus originaux de la presse américaine. Je ne parle pas seulement de cette réclame qui, pour avoir pris naissance sur les bords de l’Hudson et y avoir toujours plus prospéré qu’ailleurs, n’en a pas moins été transplantée avec succès