Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 41.djvu/627

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

chemin de fer, à chaque station les news-boys apportent les feuilles de la ville voisine, et la même personne en parcourra ainsi jusqu’à cinq ou six successivement. L’heure des journaux du soir a-t-elle sonné, une foule sans cesse renouvelée se formera devant les bureaux de chacun d’eux et se disputera les feuilles encore humides. Ce n’est pourtant que la première édition, celle de trois heures; à quatre heures paraîtra la seconde, à cinq heures la troisième, et le plus souvent à six heures la quatrième. Pendant ce temps, dans les caves du vaste édifice, de magnifiques presses cylindriques, dites Hoe’s-Lightning presses, et d’abord employées, je crois, pour le Times de Londres, fonctionnent sans relâche et donnent à l’heure de 18 à 20,000 exemplaires imprimés à la fois sur les deux faces. Tout à côté, une autre machine saisit la feuille à la sortie de la presse et la plie en un clin d’œil. Si de nouvelles dépêches arrivent à l’officine de la rédaction, le sommaire en est affiché au dehors; la colonne à modifier est en même temps envoyée aux compositeurs; la planche est presque aussitôt livrée au double moulage duquel sort la plaque fusible qui sert à l’impression, et un puits pratiqué sur toute la hauteur de la maison envoie cette plaque dans les caves. A peine stoppe-t-on un instant pour le changement; l’opération entière n’a pris que quelques minutes.

La tâche quotidienne terminée, il restera à s’occuper du résumé hebdomadaire, dont le tirage, encore plus considérable que celui des numéros journaliers, ne va pas, pour la New-York Tribune par exemple, à moins de 170,000 exemplaires. Malgré un aussi énorme débit, je n’entends pas dire que ces journaux, où pour deux sous l’on a trois feuilles d’impression, trouvait chez leur public des lecteurs d’une conscience égale à celle du fidèle abonné parisien, dont la sollicitude descend jusqu’à la dernière annonce. Et d’abord qu’y a-t-il dans un journal américain? ou plutôt que n’y a-t-il pas! Des faits, des faits de tout genre et de tout ordre, sans contrôle à la vérité, parfois même contradictoires d’une page à une autre dans le même numéro, mais embrassant un ensemble d’informations de nature à satisfaire les plus exigeans. Pas une séance qui ne soit suivie, non-seulement au congrès, mais dans les chambres séparées de chaque état; pas un tribunal un peu important qui n’ait son compte-rendu; meetings expositions, concerts, théâtres, ventes, marchés, prix courans, courses, régates, nominations, faits divers, et ce serait le cas de mettre ici les quatre pages d’et cœtera dont parle Beaumarchais, tout y passe, tout y passait même pendant la guerre, où les gestes de chaque corps n’en étaient pas moins enregistrés avec la dernière minutie. Bien plus, il était peu de numéros où ne se trouvât encastré quelque bout de carte grossièrement fait à la hâte, mais suffisant pour