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en cet état, lui dit avec beaucoup de sévérité que ce n’était point la coutume en France, et voulut le faire lever; mais lui, sans s’étonner, combattit contre la vieille dame, disant qu’il n’était pas Français et qu’il n’était pas obligé d’observer toutes les lois de l’état. Puis s’adressant à la reine, il lui dit tout haut les choses du monde les plus tendres; mais elle ne lui répondit que par des plaintes de sa hardiesse, et, sans peut-être être trop en colère, elle lui ordonna sévèrement de se lever et de sortir. Il le fit, et, après l’avoir vue encore le lendemain en présence de toute la cour, il partit, bien résolu de revenir en France le plus tôt qu’il lui serait possible. »

Il n’y revint jamais. La scène dans le jardin à Amiens, son retour inopiné dans cette ville et l’explosion de sa passion auprès du lit de la reine, tant de démarches et de paroles téméraires firent grand bruit à la cour; Louis XIII en conçut une jalouse colère; la reine-mère lui écrivit : « Votre femme fait galanterie avec M. de Montmorency, avec le duc de Buckingham, avec celui-ci, avec celui-là. » Le cardinal de Richelieu accueillit ou partagea la colère du roi; il avait lui-même, à en croire quelques témoignages, tenté de plaire à Anne d’Autriche, et fut jaloux de Buckingham pour son propre compte. Il avait en ce genre de grandes faiblesses, mais elles tenaient en lui peu de place à côté de sa politique, et si, après le mariage d’Henriette-Marie, Buckingham lui eût encore paru un allié important et capable, il l’eût, à coup sûr, ménagé; mais, depuis qu’il l’avait vu de près, il n’en faisait nul cas et le jugeait bien plus dangereux qu’il ne pouvait être utile. « Il arrive, dit-il dans ses mémoires, que le flatteur, qui, par ses feintes et ses artifices, a dérobé la bonne grâce de son maître, devient ensuite son conseiller, et c’est la plus ordinaire cause des ruines des états, parce qu’il ne se rencontre jamais qu’un flatteur ait la prud’homie et la fidélité requises pour un bon conseiller... Buckingham était de cet ordre-là de conseillers et de favoris. C’était un homme de peu de noblesse de race, mais de moindre noblesse encore d’esprit, sans vertu et sans étude, mal né et plus mal nourri. Son père avait eu l’esprit égaré; son frère aîné était si fou qu’il le fallait lier. Quant à lui, il était entre le bon sens et la folie, plein d’extravagances, furieux et sans bornes en ses passions. » Buckingham fit de vains efforts pour surmonter la jalousie du roi et la répulsion du cardinal. Possédé du désir de revoir la reine Anne, il essaya de mettre à profit, pour retourner à Paris, tantôt les discordes civiles entre la royauté et les protestans français, tantôt les troubles domestiques entre Charles Ier et Henriette-Marie. En 1626, il se fit nommer ambassadeur de France, promettant d’arranger entre les deux couronnes les difficultés qu’il avait lui-même fomentées. Louis XIII et Richelieu repoussèrent obstinément ses offres comme ses menaces, « si bien que Buckingham, se voyant