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cipe, et les alliés d’icelle, le ciel, la terre et tous les élémens. S’il s’y rencontre quelque tristesse, ce ne peut être que de voir éloigner de nous une reine tant aimable et tant accomplie. Et en ce cas, si vos navires n’avaient de l’eau suffisamment pour vous conduire, nos larmes leur en fourniraient en abondance; mais toutes choses buttent infiniment au contraire, car les zéphirs et les halcyons, petits oiseaux d’heureux augure, se préparent pour rendre serein votre passage. Déjà les tempêtes se calment, la fureur des flots se modère, les vents plus contraires se renferment, et les dieux plus aimables de la mer vous attendent pour vous faire escorte avec toute sorte de respects et de bienveillance. Béni soit donc, madame, votre heureux acheminement; béni encore à jamais votre heureux mariage, et que le ciel le veuille combler des plus chères et plus précieuses faveurs qu’il ait jamais eues en réserve ! Ce sont les vœux de tous les habitans de cette ville. » Henriette-Marie écouta et répondit de bonne grâce; elle avait, dans sa petite taille, cette tournure élégante et ces manières noblement aisées et vives qui charment au premier abord. On entra dans la ville; il n’y avait point de maison où les trois reines se pussent établir ensemble; elles-furent logées séparément, et pendant huit jours qu’elles passèrent à Amiens, les réunions, les promenades, les fêtes municipales, les hommages de la noblesse des environs se succédèrent sans relâche. La reine-mère n’y put prendre part; elle restait confinée chez elle par un rhume violent. La maison qu’occupait Anne d’Autriche avait un grand jardin bien planté le long de la Somme; un soir que sa petite cour était réunie auprès d’elle, elle eut assez tard envie de s’y promener; la promenade se prolongea; Buckingham conduisait la reine; lord Holland et Mme de Chevreuse les suivaient; l’écuyer de la reine, M. de Putange, se tenait à quelque distance. Les deux groupes se livraient à une tendre conversation; dans une allée tournante et sombre, Anne d’Autriche et Buckingham se trouvèrent seuls; ses succès, faciles ou contestés, avaient inspiré à Buckingham cette fatuité qui croit tout possible, et peut, dans sa présomption, se porter à de grossières entreprises. Tout à coup la reine cria, Putange accourut, Buckingham s’évada, et la reine et sa suite rentrèrent silencieusement dans la maison.

Deux ou trois jours après, le 16 juin, Henriette-Marie et sa suite partirent d’Amiens pour aller s’embarquer à Boulogne. Marie de Médicis et Anne d’Autriche accompagnèrent la reine d’Angleterre jusque hors des portes de la ville. Au moment de la séparation, Buckingham vint à la portière du carrosse prendre congé de la reine de France, qui avait auprès d’elle la princesse de Conti, « Il se cacha du rideau, dit Mme de Motteville, comme pour lui dire quelques mots, et beaucoup plus pour essuyer les larmes qui lui tombèrent des yeux dans cet instant. La princesse de Conti, qui raillait de