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dres envers les personnes, et portant au sein même de la controverse et de la lutte le besoin et le don de plaire. « Si c’est pour convaincre les hérétiques, disait le cardinal du Perron, amenez-les-moi; si c’est pour les convertir, présentez-les à M. de Genève ; mais si vous voulez les convaincre et les convertir tout ensemble, adressez-vous à M. de Bérulle. » Il avait eu, dans sa première ferveur, envie de se faire jésuite; mais son directeur d’alors, jésuite lui-même, après l’avoir bien étudié, lui avait dit avec une honorable sincérité : « Je ne sais, monsieur, quel peut être sur vous le dessein de Dieu ; ce que je sais seulement, c’est qu’il ne vous appelle pas à la compagnie. » Non-seulement M. de Bérulle ne devint pas jésuite, mais, par le tour de son caractère autant qu’à cause de sa fondation de la congrégation de l’Oratoire, il fut bientôt, avec la société de Jésus, dans une hostilité habituelle et quelquefois déclarée. Il n’en conserva pas moins à Rome et auprès du pape beaucoup de considération et de crédit; la cour de Rome excellait encore alors à bien vivre avec les esprits les plus divers, les modérés comme les ardens, les doux comme les rigides, et à s’en servir tour à tour selon la convenance des affaires et des temps. Le père de Bérulle avait dans le monde une situation analogue à celle qu’il s’était faite dans l’église. Prudent et habile avec droiture, il savait ménager les intérêts humains, comprendre les nécessités politiques, et rendre dans l’occasion au gouvernement de son pays d’importans services sans perdre son indépendance et sa dignité. Au milieu des discordes de la cour de France, il resta toujours attaché à Marie de Médicis, et en 1619, par son crédit auprès du duc de Luynes, il contribua puissamment à faire revenir auprès d’elle Richelieu, alors simple évêque de Luçon et exilé à Avignon : non que le père de Bérulle approuvât dès lors l’ambition personnelle et plus tard toute la politique du cardinal, il était opposé au système général des alliances protestantes, trouvait la conduite du cardinal trop mondaine, et manifesta souvent sa dissidence, quelquefois peu clairvoyante ; mais il était essentiellement modéré en même temps que zélé pour le service du roi comme pour celui de l’église, et « il croyait, dit Richelieu lui-même, que le cardinal n’avait d’autre sentiment que celui du bien de l’état. »

Richelieu de son côté, politique avant tout, ne s’inquiétait guère des dissentimens qu’il pouvait avoir eus ou qu’il pourrait avoir un jour avec les hommes que, pour le moment, il jugeait propres à le servir. Il avait confiance, pour l’affaire de la dispense romaine, dans la situation, le savoir-faire et l’influence du père de Bérulle; il le fit partir pour Rome[1], sans caractère officiel et sans bruit, mais porteur d’une lettre de Louis XIII qui disait au pape : « Le respect et

  1. Le 13 août 1624.