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qui gouverne dans cet état, et j’en suis fort aise, car elle promet et déclare qu’elle emploiera tous ses bons offices pour accroître l’amitié qui existe entre nos deux royaumes et pour secourir les Provinces-Unies, ce qu’on se prépare ici à faire largement et vaillamment. La reine-mère voit clair maintenant dans les prétentions du roi d’Espagne à la monarchie de la chrétienté. Elle a voulu savoir où en était notre alliance espagnole. Je lui ai dit que les lenteurs des Espagnols et leurs procédés dilatoires avaient été si ennuyeux, si décourageans pour le roi et si fatigans pour le prince que, dans ma pensée, ce traité prendrait bientôt fin. Elle m’a parlé alors sur-le-champ du mariage comme près de se conclure. J’ai répondu que je croyais le contraire, et j’ai tenu d’autant plus à le dire que, depuis ma venue, l’ambassadeur espagnol soutient que l’alliance est conclue, et que mon voyage n’a d’autre but que de faire marcher son maître plus vite ; ce qu’il ne répand que pour inspirer sur mon compte quelque méfiance, car il craint qu’on ne soit ici trop disposé à désirer et à accomplir une alliance avec nous. Et vraiment ses propos et ses agens ont réussi à inquiéter les hommes en pouvoir dans cet état, surtout depuis qu’ils voient que je ne leur dis rien de direct et de positif. Je sais cependant de plusieurs d’entre eux, notamment de M. de La Vieuville, qui est ici le principal meneur des affaires, que jamais état n’a été plus enclin que celui-ci à accepter toutes nos offres d’amitié et d’alliance, si nous les faisons clairement et comme des gens libres d’engagement; mais il dit, en sage ministre, que, jusqu’à ce que nous ayons complètement et décidément abandonné le traité avec l’Espagne, ils ne peuvent courir le risque de perdre l’amitié tout acquise d’un beau-frère, pour en rechercher une autre qui pourrait leur manquer. Quand ils verront réellement, par un acte public, toutes nos négociations avec l’Espagne rompues, alors, disent-ils, nous verrons, à notre tour, que rien ne leur pourrait causer plus de joie. La reine-mère m’a dit que les sentimens qui lui avaient jadis fait désirer que sa fille put être donnée à notre prince n’avaient point changé, et elle m’a parlé dans les meilleurs termes du roi et de la personne du prince, ajoutant qu’elle n’en pouvait dire davantage, car c’était la femme qui devait être demandée et recherchée. Il est certain que l’Espagne a fait sous main tout ce qu’elle a pu pour décider cette cour à accueillir pour Madame quelque autre mariage ; mais ces gens-ci sont maintenant si bien avertis qu’ils ne mordront pas à cet hameçon. Je sais cela d’un homme grave et honnête, l’ambassadeur de Savoie, qui ne voudrait pas être appelé à le soutenir tout haut et qu’il ne faut donc pas nommer, mais qui me l’affirme. Jamais on n’a exprimé un désir plus général qu’il ne s’en manifeste ici pour une alliance avec nous, et