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taire et s’effacer devant le costume moderne. Nous insistons sur les dangers d’un choix trop radical entre ces conditions contraires, parce que, depuis trente années environ, bien des erreurs ont été commises dans les deux sens, bien des tentatives se sont succédé, qui, en se démentant les unes les autres, n’ont réussi qu’à déconcerter l’opinion et à la laisser aussi peu satisfaite de la poétique idéaliste à outrance que de la transcription littérale.

Dans l’interprétation des sujets modernes, les sculpteurs de notre temps ont donc, avec un insuccès à peu près égal, cherché à faire prévaloir des doctrines opposées. Les uns, à l’exemple de M. Marochetti, — l’auteur de cette statue du duc d’Orléans jugée autrefois dans la Revue avec une juste sévérité[1], — se sont condamnés à reproduire, au lieu de l’ample physionomie des choses, les détails qui en définissent seulement les menues apparences, les caractères tout matériels ; les autres ont affublé du costume antique des gens dont la vie et la mort rendent gloire à la civilisation chrétienne. Il en est enfin, comme Simart dans ses bas-reliefs du tombeau de Napoléon Ier, qui se sont si bien défiés des artifices du vêtement, qu’ils ont procédé sur ce point par la négation absolue. De peur de concession à la mode ou de méprise pittoresque, ils ont tout uniment mis en scène leurs modèles sans vêtemens d’aucune sorte. Bien plus : n’a-t-on pas vu des œuvres issues d’un même atelier donner alternativement raison aux différentes doctrines qui divisent l’école, et le même artiste attribuer aux personnages dont il avait à retracer l’image tantôt les apparences héroïquement nues des dieux de l’Olympe, tantôt la tenue littéralement prescrite par les règlemens militaires, ou le costume bourgeois que nous portons dans la rue ou dans le cabinet ? Ainsi, après avoir représenté sur leurs tombeaux Bonchamp et le général Foy aussi dévêtus qu’hommes puissent l’être, David d’Angers, ne se rétractant pas à demi, nous montre Drouot couvert de pied en cap de son uniforme d’officier-général. Un jour David se sera contenté de jeter sur le corps nu de Racine un lambeau de draperie en guise de pourpoint et de haut-de-chausses ; quelques années plus tard, il copiera avec une fidélité impitoyable l’habit d’Armand Carrel ou la redingote de Casimir Delavigne. Le moyen en effet de tout concilier ? Comment assurer au portrait une rigoureuse exactitude sans trahir les lois de l’art lui-même, et d’autre part comment, sans un contre-sens manifeste, sacrifier absolument à ces lois générales l’expression d’un type individuel, la vraisemblance de l’aspect, de la physionomie, du costume ? Rien de plus difficile que la tâche imposée aux sculpteurs en pareil cas. Quelques-uns d’entre eux ont su l’accomplir, sinon avec une habileté magistrale, au moins avec un louable sentiment des convenances ; on peut dire toutefois que le problème n’a pas été encore complètement résolu. Quant aux tentatives pour réformer de haute lutte la sculpture monumentale et y installer, à titre de principe esthétique, l’imitation sans merci de la réalité, nous n’avons pas à en faire justice : il suffira d’en rappeler les résultats et de renvoyer ceux qu’une semblable théorie aurait pu séduire à certaines statues érigées sur les places de Nancy, du Havre et de quelques autres villes.

  1. Voyez l’article de Gustave Planche dans la livraison du 15 août 1845.