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toutes les causes d’affaiblissement que révèle la situation intérieure de la Russie, on n’a plus même le prétexte, en la secondant en Orient, d’espérer que l’on obtiendra d’elle une véritable réciprocité de services. Maintenant plus que jamais la politique de Tilsitt, capricieusement reprise, serait une politique de dupe. e. forcade.


BEAUX-ARTS.

le tombeau de l’archevêque de paris

Lorsqu’après les journées de juin 1848 l’assemblée nationale décrétait l’érection d’un monument à la mémoire du prélat qui venait de sceller de son sang la fin de l’horrible lutte, elle ne recommandait pas seulement aux respects de l’histoire le souvenir d’un acte héroïque : elle proposait à l’art une tâche digne de lui, au point de vue pittoresque aussi bien qu’au point de vue moral. Représenter ce combattant sans autres armes que son dévouement et sa foi, ce soldat de la charité s’aventurant, le crucifix à la main, les paroles de l’Évangile sur les lèvres, là où chaque bras ne savait que lancer la mort, et chaque bouche l’imprécation, — voilà certes de quoi émouvoir et tenter le talent d’un artiste ; mais encore fallait-il que la réalité fournît des moyens d’expression conformes à la majesté du sujet. On sait par exemple l’importance du costume en pareil cas et quels obstacles souvent insurmontables l’exiguïté ou la coupe bizarre de nos vêtemens peut opposer à l’interprétation épique d’un fait. Dans les œuvres de la sculpture surtout, c’est-à-dire dans des travaux où l’harmonie résulte absolument de la cadence des lignes et la beauté de la structure même des objets, la vérité contemporaine ne saurait être indistinctement reproduite. À défaut de la forme nue, qui demeure en principe l’élément essentiel de la statuaire, mais qu’il est au moins difficile d’utiliser en dehors des sujets empruntés à la mythologie ou à l’histoire antique, l’ampleur et la souplesse des draperies deviendront des conditions nécessaires, si nécessaires même que, sans ces ressources d’exécution, le thème le mieux pourvu au fond de noblesse et de vie dramatique peut rester pour le ciseau une lettre morte. Qu’on se figure de nos jours un autre Mathieu Molé défiant en habit de ville les fureurs de l’émeute, ou quelque Vincent de Paul laïque accomplissant sa charitable tâche dans le costume étriqué d’un bourgeois du XIXe siècle : il n’y aura là sans doute rien qui diminue le mérite de l’action et en compromette la beauté morale, rien que la plume d’un historien ou l’éloquence d’un panégyriste ne puisse faire pressentir à l’esprit sans dommage pour la dignité du héros. En revanche, l’art qui parle aux yeux s’accommodera malaisément de cette pénurie extérieure : ou il lui faudra travestir le fait en prétendant l’ennoblir, et renouveler à propos des hommes de notre âge quelque chose de l’idéalisme fâcheux qui avait cours au temps de Canova, ou bien, en acceptant docilement ce que la réalité lui offre, il devra se