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l’homme de l’alliance intime avec le cabinet des Tuileries ; M. Rattazzi a fait à cette alliance le plus grand des sacrifices. Quand les peuples sont dans ces situations qu’on appelle révolutionnaires, lorsqu’ils n’ont point pris encore leur assiette positive, lorsqu’ils sont livrés à l’empire des sentimens, on ne peut les gouverner qu’en épousant leur passion dominante et en leur inspirant la confiance que personne n’en est plus énergiquement pénétré. Un véritable chef de gouvernement en Italie doit être l’homme que ses compatriotes regardent comme le plus résolu à obtenir Rome et le plus capable d’y arriver. Par égard pour le cabinet des Tuileries, M. Rattazzi a voulu faire le silence autour de la question romaine, et a pour ainsi dire abandonné la direction du mouvement national vers Rome. Il n’a pas seulement fait des sacrifices à l’alliance du cabinet des Tuileries, il lui a rendu un éminent service en étouffant l’échauffourée garibaldienne. Quel avantage en recueille-t-il ? Grâce à ses bons rapports avec le gouvernement français, il pouvait passer pour l’homme le plus capable d’obtenir Rome pour l’Italie. Pense-t-on que ce qui se passe soit de nature à confirmer les Italiens dans l’opinion qu’ils pouvaient avoir de M. Rattazzi ? Évidemment non. De là sans doute l’étrange faiblesse que montre le cabinet de Turin. Livré à toutes les incertitudes, il ne sait prendre aucune résolution. Il ne semble avoir ni le courage ni la force d’aucune grande initiative. M. Rattazzi avait une magnifique occasion d’effacer les traces du dernier conflit, de pacifier son pays, d’acquérir pour lui-même un puissant ascendant moral. Écrivant, il y a quinze jours, sous l’impression du télégramme qui annonçait l’affaire d’Aspromonte, nous disions qu’il ne fallait pas mettre Garibaldi en jugement. La protestation contre la mise en jugement de Garibaldi a été le cri de l’opinion, ou, pour mieux dire, de la conscience européenne. Le ministère italien est le seul qui n’ait pas ressenti ce premier mouvement, qui était le bon, car il réconciliait l’Italie avec elle-même, et il enlevait tout prétexte au parti d’action en le contraignant par l’amnistie à une résignation reconnaissante. M. Rattazzi a laissé voir, avant tout, la pensée impolitique de juger Garibaldi et ses compagnons. La difficulté était de trouver le tribunal. Un jour on avait l’idée d’ériger le sénat en haute cour : le lendemain, on voulait renvoyer les fauteurs de la rébellion patriotique devant un conseil de guerre ; une autre fois on pensait à les traduire en cour d’assises. Après s’être empêtré ainsi dans les toiles d’araignée des légistes, on a fini par s’apercevoir qu’on n’avait d’autre issue que celle qui avait été découverte dès le premier jour par le sentiment universel : l’amnistie. On paraît donc s’arrêter maintenant à l’amnistie ; mais cette résolution tardive a perdu toute sa vertu, parce qu’au lieu d’être l’effet d’un mouvement généreux, elle n’est plus qu’un aveu d’impuissance. Le ministère Rattazzi, livré à lui-même, achève de s’user tristement. L’alliance française pourrait seule lui rendre de la vigueur en lui donnant le droit de nourrir quelque espérance du côté de Rome. Sans doute le gouvernement français