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tirons-nous ? Rester à Rome, c’est empêcher l’Italie de se constituer et de vivre dans son unité, dans son indépendance, dans la forme politique qu’elle a voulu se donner. C’est manquer à nos principes le plus solennellement exprimés ; c’est pratiquer l’intervention la plus flagrante après avoir professé la non-intervention ; c’est méconnaître le droit des peuples à établir librement les conditions intérieures de leurs gouvernemens ; après avoir reconnu l’Italie une sous Victor-Emmanuel, c’est lui refuser les moyens d’exister. Rester à Rome, ce n’est pas seulement empêcher la réalisation de l’unité italienne, c’est rendre précaire et peut-être impossible l’organisation et la marche de tout gouvernement régulier, c’est livrer la péninsule aux excitations et aux perturbations révolutionnaires. Rester à Rome enfin, c’est, par le désordre de l’Italie, ouvrir la porte à toute sorte d’accidens européens : à la ruine des sympathies que nous avions gagnées dans la péninsule, à un retour offensif de l’Autriche et à la restauration de son influence, à la prépondérance croissante de l’Angleterre dans les provinces méridionales, à pis encore, car on ne voit pas, tandis que notre occupation de Rome serait indéfinie, ce que nous pourrions objecter aux Anglais profitant du premier prétexte qui s’offrirait à eux de prendre pied en Sicile. Ainsi rester à Rome, c’est une solution, si l’on veut, mais une solution qui contredit nos principes, dément nos professions de foi, réfute notre guerre de 1859, désavoue les adhésions successives données par nous aux faits que cette guerre a créés, défait notre œuvre, livre dans l’avenir notre politique extérieure à toute sorte d’inconvéniens et de périls.

Telle est la face de la question romaine qui regarde la politique étrangère. Quand il ne devrait y avoir d’autres suites au parti que la France est appelée à prendre que celles que nous venons de signaler, ne serions-nous pas excusés, si nous désirions que le pays fût consulté le plus tôt possible sur une détermination qui engagerait à ce point son honneur, ses intérêts et son action dans le monde ? S’il s’agit pour nous de nous mettre en travers du développement naturel et légitime d’une nation renaissante à laquelle nous avions donné le droit de compter sur notre aide, n’est-il pas juste que la France soit mise franchement en demeure d’accepter ou de décliner cette responsabilité avec les pitoyables ou terribles chances qu’elle entraîne ? Mais la question romaine est d’une autre nature encore. La solution qui serait le plus conforme aux principes de notre révolution soulève dans notre politique intérieure des questions d’une importance plus grande peut-être, et dont la décision ne réclame pas moins impérieusement l’intervention du pays, exprimée par des élections générales.

Ce n’est pas seulement en effet le droit national de l’Italie qui est engagé dans la question romaine. Notre occupation cessant, ce n’est point seulement un corps d’armée français qui abandonnerait Rome, ce serait aussi la souveraineté temporelle, jusqu’à présent unie au pontificat catholique. L’union d’un pouvoir politique à l’autorité spirituelle, qui, pendant tant de siècles,