Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 41.djvu/476

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

monarchie constitutionnelle, étendre le champ de l’activité des citoyens dans la mesure où l’on parviendrait, sans dommage pour l’ordre public, à restreindre l’action de l’état, c’était l’espoir du parti dont M. de Lamartine était alors au sein du gouvernement républicain l’organe le plus éloquent et le chef le plus résolu. L’école socialiste avait condensé depuis vingt ans dans un matérialisme industriel saupoudré d’une légère couche de mysticité toutes les influences malfaisantes que développe une civilisation raffinée dans une génération sceptique. Remettant à l’état la mission qu’elle ne reconnaissait plus à l’église, cette école faisait du pouvoir le maître des intelligences et des âmes, l’arbitre de toutes les destinées, le producteur de toutes les forces, le dispensateur suprême de toutes les richesses sociales, décuplées, suivant elle, par l’unité de direction substituée au principe suranné de la libre concurrence. Restreindre la sphère de la liberté individuelle afin d’organiser celle de la puissance publique, anéantir la personnalité des citoyens dans une sorte de solidarité générale, telle était l’œuvre alors poursuivie sous le couvert de la république par les plus vivaces et les plus souples des sectaires.

Formés dans l’atmosphère des idées constitutionnelles qui depuis trente ans inspiraient la France, la plupart des membres du gouvernement provisoire éprouvaient pour ces abjectes théories des répugnances profondes, et M. Ledru-Rollin lui-même ne se séparait pas sur ce point-là de ses collègues, encore que des admirations très calculées pour la dictature conventionnelle le rendissent parfois de bonne composition pour les aspirations de la dictature socialiste. Néanmoins, quelque unanimes que fussent dans leurs repoussemens les esprits élevés et les cœurs honnêtes, si en 1848 la question avait été vidée dans Paris et par Paris seulement, le pays aurait manifestement roulé jusqu’au fond de l’abîme. L’action des clubs, ressort réputé nécessaire de l’organisation républicaine, l’extension démesurée de la garde nationale, dont l’esprit allait se transformer avec l’idée-mère de l’institution, l’embrigadement de cent vingt mille ouvriers soumis à des excitations permanentes, un concours sans exemple d’événemens et d’idées subversives aurait, après une lutte plus ou moins longue, assuré à l’anarchie une victoire définitive, si, plus loin et plus haut que ces clameurs, ne s’était fait entendre la voix de la France, et si au plus fort de ce délire la date très prochaine des élections générales n’avait agi comme une douche d’eau froide sur la tête d’un furieux.

Après avoir assisté à la naissance de la république dans la capitale, il nous reste à l’observer dans ses actes en présence de la nation.


LOUIS DE CARNE.