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gouverner. Jamais les élans du cœur ne formèrent un contraste plus sensible que durant cette étrange époque avec les périlleuses chimères imposées par les caprices de la multitude à un pouvoir trop faible pour lui résister. La république de 1848 eut la fortune de ne rencontrer devant elle aucun adversaire, de n’avoir aucune lutte à soutenir, et dès lors aucune vengeance à exercer. Une ruine aussi soudaine, une victoire aussi peu disputée excluaient en effet jusque chez les révolutionnaires les plus exaltés la pensée de rigueurs inutiles, car un pareil succès laissait plus de place pour les dédains que pour les haines, pour la commisération que pour la colère. En quelques heures, la retraite de son gouvernement avait conduit une grande nation à ne plus vivre que par la grâce et sous la protection de quelques personnages, les uns connus, les autres obscurs, contraints eux-mêmes de se demander chaque matin pour combien de temps ils pouvaient compter que leur tête serait encore sur leurs épaules. Poussés par les flots sans cesse renouvelés de l’invasion jusque dans les derniers réduits du palais municipal, obligés de s’y barricader, de haranguer la foule vingt fois par jour afin d’apaiser ses impatiences en entretenant ses ardeurs, ces dictateurs, qui, sur la sommation de quelques sectionnaires, venaient de décréter la république pour la France, couchés en joue par des centaines de fusils, avaient à pourvoir au salut et à l’approvisionnement d’une ville immense, à protéger les palais et les musées contre les incendiaires, les machines et les chemins de fer contre une destruction déjà commencée, à préserver enfin la civilisation tout entière contre des cupidités que ses développemens mêmes avaient rendues plus effrénées.

Dieu protège la France ! Du fond de l’abîme où l’avait précipitée la syncope de ses hommes d’état, la nation put entendre encore avec quelque orgueil les engagemens pris en son nom et accueillis par un peuple généreux, ballotté entre ses instincts honnêtes et les décevantes théories de ses corrupteurs. La promesse de respecter scrupuleusement la liberté en tout et pour tous, celle de convoquer une assemblée constituante dans le plus court délai possible, l’abolition de la peine de mort pour délits politiques au lendemain d’une révolution qui semblait laisser les vaincus à la complète discrétion des vainqueurs, la suppression du serment, qui allait rendre plus facile l’accès de l’urne électorale en ménageant tous les scrupules de l’honneur, la répudiation solennelle de toute pensée d’acquisition territoriale, l’appel à la fraternité pour tous les peuples comme pour toutes les classes de citoyens, le concours invoqué des ministres de Dieu pour l’œuvre de la réconciliation universelle, la proclamation de la liberté des noirs, toutes ces perspectives, toutes ces effusions d’autant plus enivrantes qu’elles étaient plus vagues, furent accueillies par un pays confondu de terreur et d’étonnement