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chambre quelques heures avant l’instant où une courageuse mère vint jeter à une assemblée impuissante le nom de son fils au milieu des rugissemens de l’émeute victorieuse. Il nous a révélé en quels termes des républicains éprouvés, pressentant de quel poids pèserait bientôt dans la balance des destinées l’ardente parole de l’auteur des Girondins, lui conseillèrent, sous le sceau du plus profond secret, d’appuyer énergiquement la régence, s’engageant à n’élever pour leur propre compte contre ce gouvernement aucun obstacle, et promettant, par respect pour le sentiment public, d’ajourner à d’autres temps l’accomplissement de leur plus vieille espérance. On sait comment, relevant après quelques minutes de silence sa tête appesantie sous le poids de ses réflexions, M. de Lamartine déclara repousser et une telle ouverture et un tel ajournement ; il nous a exposé dans son dramatique langage les motifs sur lesquels, retrempant, au grand étonnement de ses interlocuteurs, leur foi chancelante au feu de sa foi de néophyte, il appuya sa résolution de combattre la régence et de réclamer à tout prix la république, si une révolution à laquelle il se défendait d’ailleurs de vouloir activement concourir sortait de la crise ouverte depuis trois jours. Selon M. de Lamartine, la régence n’aurait été qu’une oligarchie d’intrigans exploitant une fronde populaire ; la république au contraire serait bientôt et à toujours le refuge de tous les partis, la prochaine espérance et la plus chère pensée de tous les bons citoyens enfin réunis sous le même drapeau[1].

Le moyen d’hésiter lorsqu’on pose ainsi la question ? . Mais la France se réservait le droit de la poser de son côté, et la distance entre sa pensée et celle du grand poète, enivré par la plus étrange illusion, ne devait pas tarder à prendre les proportions d’un abîme. La nation, constituée par l’action directe du pouvoir souverain depuis Hugues Capet jusqu’à Napoléon, éprouvait un repoussement invincible pour une forme de gouvernement incompatible avec les mœurs que lui avaient faites et son génie et son histoire. D’ailleurs, par une justice distributive profondément morale, lors même que les applications partielles en seraient erronées, la république portait chez nous la peine due à son passé et à son nom, car, malgré les scandaleuses transfigurations accueillies depuis quelques années par le public des cabinets de lecture, pour la véritable nation française, pour celle qui produit les laboureurs, les prêtres et les soldats, les héros réhabilités de 1793 n’avaient pas cessé d’être des monstres, et les idées de cette sinistre époque demeuraient des attentats au bon sens et à la conscience publique. M. de Lamartine pouvait assurément élever contre la régence des objections très fondées ; mais la France en

  1. Histoire de la Révolution de 1848, par M. de Lamartine, t. Ier, p. 166.