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ses forces et semblait la tremper pour les grandes épreuves. Les consciences étaient d’ailleurs plus émues qu’inquiètes, et les sentimens politiques de la propriété territoriale commençaient à subir, par l’intervention des intérêts industriels et l’immense développement donné aux travaux publics, des modifications très profondes, de telle sorte qu’à la veille de la révolution de février l’on semblait assez près d’arriver à la formation d’une sorte de néo-torysme plus conservateur que l’opposition, plus libéral que la majorité, pour lequel les deux groupes légitimiste et catholique auraient fourni des élémens précieux.

La situation diplomatique ne se présentait pas sous un aspect moins favorable. Le pouvoir, accusé si longtemps de marcher à la suite de l’Angleterre, s’était vu, depuis la conclusion des mariages espagnols, placé sous le coup d’un reproche précisément contraire. On lui imputait d’avoir provoqué contre la France une hostilité implacable pour servir un pur intérêt dynastique, lorsqu’il était manifeste que, si dans cette circonstance solennelle l’influence française n’avait pas prévalu à la cour de Madrid, l’influence anglaise lui eût été nécessairement substituée. Un mariage Cobourg n’aurait-il pas présenté aux adversaires du gouvernement un thème de récriminations mille fois plus plausibles et plus nationales ? Le succès que la France venait d’obtenir au-delà des Pyrénées l’avait en effet séparée de l’Angleterre ; mais, en compensation des difficultés qu’elle pouvait susciter, cette situation nous ouvrait des perspectives très nouvelles, et celles-ci semblaient sortir comme d’elles-mêmes du cours naturel des événemens et de l’irradiation de nos idées.

Les dangers qui paraissaient menacer alors en Suisse l’ordre européen avaient conduit l’Autriche et la Prusse à former avec le cabinet des Tuileries une sorte d’entente dont le gouvernement français recueillait déjà un sérieux avantage moral. L’Espagne et le Portugal étaient désormais fortement rattachés au réseau des monarchies constitutionnelles ; la Belgique, organisée comme la France, gravitait dans son orbite. En Allemagne, le pouvoir absolu succombait à l’éclatant spectacle de nos débats parlementaires : les grands efforts de la France pour s’assimiler l’Algérie et pour trouver au-delà de la Méditerranée des développemens si longtemps rêvés au-delà du Rhin nous avaient enfin rendu les sympathies de ce pays, aussi disposé à s’ouvrir devant nos idées qu’à se fermer devant nos armes. Aspirant à concilier, comme l’avait fait Louis XVIII, le droit historique et le droit des temps nouveaux, le roi Frédéric-Guillaume venait d’octroyer à ses sujets la constitution du 3 février 1847. Si les droits reconnus aux deux curies prussiennes demeuraient inférieurs à ceux qui avaient été départis en 1814 à nos chambres