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pures, » il peut leur sembler pénible d’entendre la postérité qui commence taxer de stérile une tentative qu’ils auraient sans hésiter fécondée de leur propre sang. Il faut bien pourtant que la vérité ait son jour et qu’on sache se résigner, après une expérience concluante, à expliquer par le bon sens du pays des sentimens d’indifférence qu’on aimerait mieux imputer à son ingratitude. Le courage déployé par l’auteur de ce livre et par ses collègues du gouvernement provisoire afin de protéger contre les assauts réitérés de la barbarie les fondemens de toutes les sociétés suffirait pour attester que la crise de février fut pour la civilisation moderne l’une de ses épreuves les plus redoutables. Pour résoudre la question de savoir si cette révolution a été, dans la marche de l’esprit humain, l’occasion d’un progrès ou le signal d’une décadence, il suffira, ce me semble, d’établir quel était en France et en Europe, à la veille du 24 février, le bilan de la liberté, et quelles étaient au dehors ses chances prochaines, en mettant en regard de ce tableau la situation sortie de l’établissement de la seconde république française par une conséquence logique et à peu près immédiate. Telle est l’œuvre à laquelle me provoque le livre d’un écrivain sincère, minutieux procès-verbal de ces terribles journées. L’auteur de cet écrit a bien plus le désir que le pouvoir de demeurer dans la vérité, et on le surprend plus souvent à se montrer généreux qu’à être juste. Comment n’en serait-il pas ainsi lorsqu’on se trouve amené, par le devoir même de sa position, à juger comme une conséquence du progrès des idées un désastreux accident hors de toute proportion avec ses motifs, et condamné à demeurer une cause sans effet parce qu’il avait été lui-même un effet sans cause ? J’aborde cette étude le cœur libre de toute passion, l’esprit dégagé de tout parti-pris. L’histoire, je le sais, ne se recommence jamais, et ses plus éclatantes justices ne font pas que le passé puisse renaître. Passager obscur englouti dans le naufrage, je suis sans illusion sur les pilotes, sans colère contre la tempête, et je reste de plus en plus convaincu, au spectacle de cette inexplicable catastrophe, que si, dans les perturbations de ce monde, Dieu fait sa juste part à la liberté des hommes, il s’en réserve encore une plus grande pour lui-même.


I

La monarchie de 1830 venait de dépasser la mesure de la durée moyenne départie depuis 1789 aux divers gouvernemens de la France. Aucun signe alarmant ne se révélait encore, et toutes les prévisions concordaient pour promettre alors à cette royauté entourée