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et de la raison, un vice radical qui apparaîtra de plus en plus à mesure que se formeront les idées et les mœurs de la société moderne. Dans le marché (je ne prends pas le mot en mauvaise part) dont nous parlions tout à l’heure, il se trouve que les contractans engagent d’autres intérêts que les leurs ; ils y compromettent les droits de personnes tierces qui ne leur ont point donné mission de contracter pour elles. Il y a entre eux quelque chose d’oublié qui pouvait s’omettre autrefois, mais qui de nos jours se rappelle de soi-même quand on n’en a pas suffisamment tenu compte. Ce quelque chose, c’est la liberté, la liberté de tous ceux qui ne sont pas de la religion du pontife, qui ne partagent pas la foi du prince, ou même, s’il faut tout dire, de ceux-là aussi qui n’en professent aucune. À Dieu ne plaise que je me révolte ici contre les concordats, et que j’y veuille dénoncer, une insupportable oppression des consciences ! Je raisonne, et la logique me gouverne seule en cet instant. Je voulais uniquement établir que, dans le présent et pour l’avenir surtout, la voie des concordats deviendra chaque jour moins facile et moins bonne pour régler les rapports nouveaux entre l’église et l’état moderne. Je souhaitais surtout expliquer comment l’argument des concordats me touche médiocrement, quand on l’apporte dans la discussion, afin d’expliquer la nécessité de la présence de nos troupes à Rome.

Lorsqu’au sujet de la question romaine je descends au fond de mon âme et m’examine de près, je me sens, à vrai dire, plus touché peut-être de l’intérêt de l’église catholique à sortir de la fausse position où elle se compromet que du droit d’ailleurs évident des Romains à se gouverner eux-mêmes. À mes yeux, il importe au temps où nous vivons, temps égoïste, positif et de doctrines assez relâchées, qu’il n’y ait pas une seule autorité morale dans ce bas monde qui ne vienne secourir notre défectueuse et faible humanité dans la lutte incessante qu’il lui faut livrer contre l’erreur, contre l’iniquité et contre l’oppression, en faveur de la vérité, de la justice et de la liberté. Et quelle autorité morale plus grande sur la terre que celle, de cette vieille église catholique perdue dans la nuit des siècles, dont les préceptes sont si beaux et la doctrine si puissante ? Ceux-là la conseillent bien mal qui lui persuadent de s’accrocher avec désespoir aux lambeaux de son pouvoir temporel défaillant, Combien elle serait mieux avisée, si, comme elle l’a déjà fait tant de fois, s’avançant résolument vers l’avenir, sans rompre toutefois avec ses traditions et son passé, elle acceptait pour règle le droit commun, au lieu de revendiquer le privilège, et si elle se confiait, pour assurer son empire sur les intelligences, aux maximes de la liberté moderne ! Qu’y a-t-il donc dans ces généreuses maximes qui