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Bengale s’allument comme par enchantement sur son passage, la musique repart de plus belle, et mille voix stridentes le saluent à la fois de leurs cris enthousiastes. La Madone, les fleurs, la musique et les cris, c’était bien l’Italie telle que je l’avais connue ; il n’y avait de nouveau que Victor-Emmanuel et l’unanimité des sentimens auxquels son nom servait de ralliement.

L’accord des Italiens entre eux et la confiance qui les anime, voilà ce qui m’a partout le plus frappé pendant mon dernier séjour en Italie. Là, point de haines, pas même d’ombrage de classe à classe. Entre la noblesse, la bourgeoisie et le peuple, pas d’anciens malentendus, et partant point de susceptibilités. Les noms de la grande noblesse italienne se rattachent presque tous à quelques illustres souvenirs ; la multitude les aime, les salue et s’en pare comme d’autant d’erremens glorieux pour la patrie commune. La bourgeoisie, n’ayant pas exercé le pouvoir depuis la chute des vieilles républiques du moyen âge, n’est en butte à aucune fâcheuse rancune. Elle a le bonheur de n’avoir pas eu un gouvernement particulier à son usage ; son avènement aux affaires date du jour de l’affranchissement général. Le peuple italien est presque tout entier agricole et livré aux travaux de la campagne ou de quelques petites industries, qui s’exercent au sein de la famille. Point de grandes capitales, pas de ces immenses villes manufacturières où se pressent, comme chez nous, des foules d’ouvriers, natures vives, généreuses, mais surexcitées, mobiles et facilement exploitées par les intrigans de tous les temps. Sans doute il y a des partis de l’autre côté des Alpes. Au sein de ce vaste mouvement de l’indépendance italienne, on remarque des tendances très opposées et des opinions fort divergentes. Il s’en faut de beaucoup cependant qu’elles soient aussi profondes que chez nous. Les contrastes y sont beaucoup moins heurtés, et les rapprochemens bien autrement faciles. On n’y connaît pas les ressentimens implacables, on n’y est pas retranché dans des barrières infranchissables. À entendre un certain monde, on pourrait croire que le génie de la démagogie est déchaîné par toute la péninsule. Si par esprit démagogique il faut entendre une certaine jalousie basse et envieuse des supériorités sociales qui proviennent du talent, de la naissance ou des richesses acquises, nous sommes travaillés de ce mal beaucoup plus que les Italiens. Les partisans de Garibaldi, voire ceux de Mazzini, ne sont ni des socialistes, ni des égalitaires outrés. En 1848, mais surtout pendant les dernières années qui ont précédé la prise d’armes de 1859, le parti révolutionnaire italien, très différent en cela du parti révolutionnaire français, est allé chercher les hommes du parti modéré, et dans ses rangs de préférence les hommes les plus considérables par leur noblesse et par leur situation sociale.