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caractère, par ses préférences de société, chacun d’eux se prêtait un peu aux interprétations qui avaient cours.

M. Rattazzi, le jeune avocat fils de ses œuvres, ancien démocrate du parti avancé, qui avait poussé le roi Charles-Albert à Novare, puis accepté le pouvoir après Villafranca, était assez naturellement désigné, surtout depuis son dernier voyage à Paris, comme le chef du parti qui désirait s’appuyer principalement sur le gouvernement français. M. Ricasoli, ancien baron toscan, grand seigneur aux manières aristocratiques, qui avait tant contribué à la réunion de Florence au Piémont et combattu la candidature du prince Napoléon en Toscane, passait avec assez d’apparence de raison pour avoir mis ses plus fortes espérances dans l’appui du cabinet britannique. Toute gratuite qu’elle fût, cette supposition n’ajoutait pas à sa force ; elle était un embarras pour lui. Très estimé, très capable, justement confiant dans la considération méritée dont il était entouré, M. Ricasoli n’était peut-être pas non plus assez soigneux de ses rapports avec les personnes. Il supportait difficilement les petites contrariétés de détails ; il prenait trop à cœur les déboires journaliers dont se compose la vie politique, et de même qu’il n’avait pas beaucoup songé à se rendre agréable à sa majorité, il ne se préoccupa peut-être pas assez de plaire au roi. Ce dernier oubli causa sa chute, qui ne fut en réalité déterminée par aucun mouvement de l’opinion publique. Le roi lui préférait M. Rattazzi. Le baron Ricasoli le savait ; il sut aussi bientôt qu’un aide-de-camp du roi Victor-Emmanuel était allé s’informer à Caprera si Garibaldi ne donnerait pas volontiers son appui au cabinet nouveau que le souverain se proposait d’appeler. Le messager officieux n’était pas encore de retour de sa mission quand M. Ricasoli, surpris et mécontent de voir que les délibérations les plus secrètes du cabinet étaient révélées au roi par un de ses collègues lié avec M. Rattazzi, troublé du mauvais vouloir que lui témoignait le représentant de la France, découragé d’ailleurs par les difficultés qu’il rencontrait à compléter son ministère, résolut d’offrir sa démission. Il allait l’envoyer lorsqu’un message royal fort laconique lui apprit que M. Rattazzi était chargé de former un nouveau cabinet. Le coup était rude. M. Ricasoli le reçut avec une tranquillité d’âme qui lui fit grand honneur. En public comme en particulier, il expliqua sa retraite par la raison plausible, quoique non fondée, des refus que plusieurs membres de la chambre avaient opposés à ses offres de portefeuilles, et de l’insuffisance ou du moins de la faiblesse de l’appui que lui avait prêté la majorité de la chambre ; puis il se hâta de s’éloigner de Turin pour se dérober aux questions indiscrètes, laissant le champ libre à son successeur.

L’avènement de M. Rattazzi dans les circonstances que nous venons