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manquât en ce moment d’hommes d’état distingués, dévoués à ses intérêts, décidés à poursuivre l’œuvre de celui dont ils avaient été les plus utiles auxiliaires. Leur bonne volonté, leur capacité même, ne pouvaient toutefois empêcher que, M. de Cavour disparu, la situation ne fût considérablement changée. Indiquons brièvement en quoi consista surtout ce changement, et tâchons d’expliquer comment l’on a été conduit à la crise actuelle.

Ainsi que nous l’avons dit précédemment, M. de Cavour, quoiqu’il fût un ministre très libéral et fort constitutionnel, n’avait point beaucoup songé, dans le vif de l’action, à s’appuyer très fortement sur le parlement. Il n’avait pas besoin de lui emprunter sa force, parce qu’il la possédait en lui-même. Il gouvernait à coup sûr dans le sens de la majorité, mais plutôt à côté d’elle que par elle, ne s’en servant que pour justifier, surtout vis-à-vis de l’étranger, les actes qu’il avait résolu d’accomplir. Le pays savait cela parfaitement. En 1859, après la collision avec l’Autriche et au lendemain des annexions, les collèges électoraux n’avaient point eu pour principal souci de nommer des députés rompus aux mœurs parlementaires, particulièrement capables de mener à bien l’œuvre si compliquée de la fondation d’un régime constitutionnel. « A quoi bon ? disait-on alors. Nous avons Cavour. — On nous a nommés, me disait l’un des hommes les plus éminens de la chambre actuelle, à peu près comme l’on donnerait des croix d’honneur. » Les populations se sont ralliées au hasard autour des noms qui avaient été prononcés le plus souvent à leurs oreilles, choisissant sans beaucoup s’inquiéter de leurs opinions particulières : ici un général de l’armée régulière, là un garibaldien, ayant fait parler d’eux pendant la dernière guerre ; dans cette ville, quelque ancien exilé rentré dans ses foyers ; ailleurs, un poète national ou quelque professeur distingué. En réalité, tous ces élus, non pas du suffrage universel, mais d’un suffrage très étendu, avaient rempli l’unique mission que leur avaient confiée leurs mandataires. Toujours et en toute occasion ils avaient fait ce qu’avait voulu M. de Cavour. Cavour mort, leurs dispositions ne devaient plus être les mêmes à l’égard de son successeur, quel qu’il fût. Ils entendaient montre quels étaient les maîtres, et ne se souciaient plus de se donner exclusivement à personne. Le mouvement des esprits courait toujours dans le même sens, mais le point de départ était déplacé. Le baron Ricasoli, l’héritier désigné de M. de Cavour, noble et grand caractère, âme droite et fière, politique ferme et résolu, mais non très habile tacticien parlementaire, ne démêla peut-être pas très bien au premier abord l’inclination nouvelle des esprits. Il se proposait trop de continuer uniquement M. de Cavour.