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appeler aux armes. Pourquoi la diplomatie ne pourrait-elle, sans guerre, moyennant quelque habile combinaison suscitée par les affaires d’Orient, octroyer un jour au nouveau royaume d’Italie ce complément si désiré ? Il ne désespérait même pas de pouvoir entrer en pourparlers avec le gouvernement besoigneux de Vienne. Il comptait, à tort ou à raison, sur l’Angleterre pour faciliter le marché et lui avancer les fonds. Tous les moyens lui semblaient plausibles et bons ; il n’en était aucun qu’il ne préférât à une nouvelle intervention de la France.

Il avait d’autres raisons pour aller doucement dans les affaires de Rome. D’abord il ne voulait à aucun prix risquer de se brouiller avec l’empereur Napoléon III, car s’il n’était pas disposé à lui demander de nouveaux services, il était encore plus éloigné d’oublier les anciens. Avec sa parfaite connaissance des circonstances intérieures du gouvernement français, il comprenait bien que c’eût été mal le récompenser des secours reçus dans ses propres embarras que d’aller, en matière aussi délicate, par ses exigences incommodes, en susciter lui-même de non moins redoutables à son utile et complaisant auxiliaire. Ce n’est pas tout. Dans ses diverses entreprises (nous avons vu qu’il n’avait pas voulu celle de Naples), M. de Cavour s’était toujours senti soutenu et comme porté non-seulement par le plein courant de l’opinion de son pays, mais, à de rares et notables exceptions près, par l’assentiment de tous ceux qui au dehors formaient à ses yeux comme le vrai public libéral de l’Europe. Ce surcroît d’autorité qui résulte pour un homme d’état de l’approbation donnée du dehors à ses actes, il en faisait cas plus que personne. Autant donc il avait été résolu et hardi quand il n’avait eu à combattre que des forces, pour ainsi dire matérielles, autant il se sentait porté à la prudence et à la circonspection au moment où il pouvait craindre de rencontrer devant lui des résistances toutes morales. Pour triompher d’elles, ni la témérité, ni la ruse, ni la violence, n’étaient de mise. Il fallait employer la raison, la patience, la bonne foi, et, puisqu’il s’agissait de convictions personnelles et d’affaires de conscience, agir par la persuasion et convaincre la conscience publique. M. de Cavour, qui, sans avoir jamais négligé le parlement italien, était sûr d’en être, en toute occasion, compris et approuvé à demi-mot, ne l’avait pas depuis quelque temps entretenu beaucoup de questions politiques ; il s’était contenté de s’y défendre brièvement quand il y avait été attaqué, sans beaucoup viser à l’effet, surtout à l’effet à produire au dehors. Il changea tout à coup de méthode : il rechercha et provoqua presque les discussions. Ses discours sur la question romaine, les derniers et les plus étudiés qu’il ait prononcés, sont en réalité moins adressés aux chambres, si