Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 41.djvu/425

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

servi à raffermir la popularité un moment ébranlée de M. de Cavour. Cette popularité, conquise de haute lutte et payée peut-être à un certain point de vue d’un prix trop élevé, n’était point pour lui une vaine jouissance de vanité ; elle était une force indispensable dont il ne pouvait se passer pour résister ouvertement à l’anarchie que, sans le vouloir et sans le savoir, pouvait déchaîner d’un jour à l’autre sur son pays le glorieux chef de partisans qui était alors pour l’Italie entière un objet d’idolâtrie. On le vit bien, lorsque Garibaldi, enivré de sa puissance sur la multitude et préludant aux folles témérités qui depuis ont compromis sa renommée, osa sommer le roi de renvoyer son premier ministre. Devant ces altières exigences, M. de Cavour ne cédera pas. En plein parlement, dans ce parlement agrandi par tant de récentes annexions, les unes fruits de son adroite politique, les autres dues aux brillantes prouesses de son rival, il acceptera la lutte avec Garibaldi et le terrassera aux applaudissemens frénétiques de toute l’assemblée, avec la seule arme d’une ferme parole maniée par Le plus intrépide bon sens. Cela valait mieux apparemment pour l’Italie, pour Garibaldi lui-même, que d’avoir à l’abattre plus tard à coups de fusil, humilié et vaincu, dans les gorges d’Aspromonte !

Nous sommes arrivés au point culminant de la courte carrière de M. de Cavour. Quels débuts et quelle fin ! L’obscur sous-lieutenant du génie, naguère presque persécuté, a vu s’accomplir au pied de la lettre, destinée bien rare, le rêve de sa jeunesse. Le voilà ministre de cette grande patrie italienne qu’il a dû créer lui-même avant d’en devenir au dedans le conseiller invariablement écouté et au dehors l’illustre interprète et comme la vivante personnification. Sans doute dix-huit mois après la paix de Villafranca, un an après sa rentrée aux affaires, alors que dans le palais Madame, devenu trop étroit pour sa nouvelle destination, l’Italie tout entière, sauf Rome et Venise, prêtait serment au roi Victor-Emmanuel, à l’aspect de tant de visages inconnus tournés vers lui, au bruit des acclamations enthousiastes qui le saluaient de toutes parts, sans doute M. de Cavour dut songer un instant à la séance où, la veille presque de la déroute de Novare, il élevait pour la première fois sa voix, alors impopulaire, dans la petite assemblée piémontaise ; mais de semblables retours sur lui-même n’étaient pas conformes à son caractère. Le succès n’était point pour lui tourner la tête, encore moins pour l’endormir. Il jouissait d’avoir si bien avancé sa tâche ; à ses yeux pourtant, il s’en fallait de beaucoup qu’elle fût terminée. Il avait la très ferme et très juste conviction que, pour accomplir ce qu’il restait à faire, les moyens précédemment employés ne vaudraient plus, et qu’à la nouvelle œuvre il faudrait de nouveaux procédés d’action. C’est le moment