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davantage, il y avait gagné l’empereur lui-même. Il ne s’en faisait pas moins illusion lorsque, jugeant la crise prochaine, il écrivait le 12 avril 1856 à son collègue Rattazzi : « Il faut se préparer secrètement, faire l’emprunt de 30 millions, et, au retour de La Marmora, adresser à l’Autriche un ultimatum qu’elle ne pourra accepter, et commencer la guerre. L’empereur ne saurait s’opposer à cette guerre ; au fond, il la désire[1]. »

Les choses n’étaient pas aussi avancées qu’il l’espérait. Il y avait changement dans les dispositions du souverain de la France. De bonnes paroles lui avaient été données qu’il avait le droit de prendre pour des encouragemens. Rien de plus. En fait, il y eut seulement depuis cette époque échange de lettres gracieuses et de messages confidentiels entre l’empereur, le prince Napoléon, le roi Victor-Emmanuel et son ministre. Un assez grand nombre de patriotes italiens obtinrent leur entrée dans le cabinet particulier de l’empereur. Plusieurs d’entre eux, autorisés ou non, quelques amis personnels en partaient pour parcourir l’Italie, y jetant aux quatre vents la promesse d’un radical et prochain changement du présent état de choses. C’était tout cependant. Les souvenirs de la rude guerre de Crimée étaient encore trop récens pour qu’on songeât sérieusement à entreprendre une nouvelle campagne. Parfois M. de Cavour se prenait à désespérer de pouvoir entraîner après lui la grande puissance militaire sans laquelle il ne pouvait raisonnablement rien tenter. Il était au plus fort de ses incertitudes quand arriva à Turin la désastreuse nouvelle de l’affreux attentat d’Orsini. Ce fut pour M. de Cavour un redoublement de perplexités. Ces détestables bombes jetées en pleine foule, au beau milieu de la capitale, sous la voiture d’un souverain qui, plein de confiance, ne songeait qu’à jouir, avec sa jeune femme inoffensive, de l’un des plaisirs ordinaires d’une civilisation raffinée, n’avaient-elles pas tué à tout jamais les espérances de l’Italie ? M. de Cavour avait trop de raisons de le croire et de s’en désespérer. Il en douta cependant lorsque peu de temps après il lut dans les journaux de Turin, imprimée d’après une copie envoyée directement de Paris, la missive étrange qu’avant de monter à l’échafaud le terrible propagateur de l’indépendance italienne avait trouvé opportun d’adresser au souverain qui signait son arrêt de mort.

On sait le reste, du moins en gros, et M. de La Rive a l’air de le savoir mieux que personne, plus même qu’il ne lui convient de le dire. M. de Cavour était en effet à Presinge, dans la famille de son jeune parent, lorsqu’il reçut l’invitation de se rendre à Plombières. Il

  1. Récits et Souvenirs, p. 357.