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déjà une fraction du centre droit. Ainsi il unit deux élémens divers d’origine aussi bien qu’hostiles de tendances, mais qui, tenus par sa main de fer, formaient un parti nouveau qui devait aller toujours grossissant jusqu’à absorber la nation tout entière, au point qu’un homme d’esprit pourra dire un jour : « Nous avons un gouvernement, une chambre, une constitution, même une droite et une gauche, et tout cela s’appelle Cavour. »

Ajoutons, pour être tout à fait équitable, que ce ministre si jaloux de son autorité, qui tenait si fort à garder l’initiative dans la direction des affaires et l’indépendance de ses allures, qui courait au-devant de la responsabilité et la porta toujours si légèrement, n’eut jamais la pensée de se dérober au contrôle de l’opinion publique. L’idée ne lui vint même pas de fausser en quoi que ce fût le franc jeu de ces institutions parlementaires qu’il avait si ardemment souhaitées pour son pays, et dont il était bien décidé à lui conserver, quoi qu’il arrivât, l’heureux bénéfice. L’ascendant qu’il réclamait et qui devait à la fin de sa vie devenir presque dictatorial, il aurait eu honte de l’exercer sur un peuple muet et asservi ; il avait assez de fierté pour ne vouloir commander qu’à des esprits convaincus. La contradiction et les obstacles jetés sur sa voie par ses adversaires, alors même qu’ils gênaient son action, n’excitaient pas sa colère. C’était par la liberté, non pas une liberté en l’air, vague, idéale et menteuse, mais par la pratique journalière, effective et sincère de toutes les libertés, qu’il entendait former le caractère et les mœurs du peuple piémontais, afin de l’initier peu à peu et de l’acheminer de longue main, déjà robuste et fortement trempé, vers les grandes destinées qu’au fond de son cœur il entrevoyait pour lui. Il n’y aura jamais qu’une manière de parler à l’âme d’une nation et d’agir efficacement sur elle : c’est de lui montrer qu’on partage sa passion dominante, c’est de lui donner à comprendre qu’on est plus que personne capable de lui procurer l’objet qu’elle brûle d’atteindre. Entre l’ambitieux ministre piémontais et ses ambitieux concitoyens, on s’était, vite compris et entendu à demi-mot. Voilà tout le secret de sa puissance.

L’accord intime avec la France et la bienveillance personnelle du chef de notre gouvernement n’ayant pas servi de peu aux desseins de M. de Cavour, il est curieux de connaître la nature de leurs premiers rapports. Nous aurons ainsi l’occasion de faire comprendre quels étaient ses principes en matière de politique extérieure, ou peut-être vaudrait-il mieux dire ses vues très générales et ses façons de procéder à coup sûr très particulières. Ainsi que nous l’avons vu, le coup d’état ne prenait pas absolument M. de Cavour au dépourvu. Il n’avait pas de raison de regretter la république française, qui