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première hautement avouée pour les gens du parti de l’ordre et pour les hommes du clergé étaient toutefois destinées à recevoir bientôt quelque atteinte. La conduite de l’archevêque de Turin, qui, armé de son droit ecclésiastique, mais en faisant le plus déplorable usage, refusa obstinément à M. de Santa-Rosa mourant les sacremens de l’église, révolta profondément, comme par un pressentiment secret de sa propre destinée, l’âme indignée de M. de Cavour. De là une première rupture, qui certes n’a profité à personne, et dont, en Italie et ailleurs, la cause catholique, à ne considérer que ses intérêts purement temporels, a plus souffert, nous le craignons, que son illustre antagoniste. En lutte depuis ce jour avec l’autorité spirituelle d’une partie de l’épiscopat piémontais, M. de Cavour ne pouvait plus s’appuyer exclusivement sur ses anciens partisans. À d’autres égards, il n’en était pas non plus très satisfait. C’est le propre, hélas ! de quelques-uns de ceux qui se disent et se croient de très zélés conservateurs de n’appuyer jamais que bien faiblement, dans leurs embarras de chaque jour, les chefs qu’ils se sont donnés : dès son arrivée au pouvoir, M. de Cavour en fit la pénible expérience. Son choix fut vite arrêté. Par nécessité et par tactique, non par goût, il se mit à incliner visiblement vers le centre gauche et la gauche ; mais cette résolution lui coûta plus qu’on ne le saurait dire, car elle était contraire à tous ses penchans. « Je n’aurais pas demandé mieux, disait-il à cette époque à M. W. de La Rive, que de gouverner par le centre droit et avec son concours, et de développer graduellement nos institutions ; mais il m’a été impossible de m’entendre avec ce parti sur les questions religieuses. Dès lors j’ai dû renoncer à son appui. On ne peut pas gouverner sur la pointe d’une aiguille[1]. » C’étaient là dans la bouche de M. de Cavour des paroles significatives. Doué avant tout d’un merveilleux instinct de gouvernement, destiné, sauf à de rares intervalles, à ne plus jamais quitter les affaires, le nouveau ministre entendait fonder son pouvoir sur les bases les plus solides et par conséquent les plus larges. « Il n’était pas homme, dit excellemment son jeune biographe, à s’asservir aux caprices d’une majorité mobile, ni à se soumettre aux conditions que, selon la question du jour, lui dicteraient tour à tour la gauche ou la droite. Il était de ceux qui exigent et non de ceux qui mendient. Il lui fallait un parti sur lequel il pût compter. Ce parti, il le chercha d’abord, mais il ne le trouva pas où ses propres sentimens le portaient, dans le centre droit. Instruit par deux ans d’expérience, il se rapprocha du centre gauche, et, sans en être, il gouverna par lui, se l’assimilant peu à peu, comme il s’était assimilé

  1. Récits et Souvenirs, p. 303.